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PROSTITUTION DANS L'ANTIQUITÉ

Des pratiques contraires à l’idéologie civique

Dans la Grèce du ive siècle avant J.-C., le plaideur du discours Contre Néaira considère comme tout à fait normal, pour un citoyen, d’avoir une épouse (gunê) pour la descendance légitime et la protection du foyer, une concubine (pallakê) pour les soins de tous les jours et une prostituée (pornê) pour les plaisirs. Le cas de Néaira, esclave sexuelle louée à des particuliers qui a fini par acheter sa liberté, vivre comme une pallakê et passer aux yeux de tous pour une épouse légitime au point de voir sa fille se marier à un citoyen d’Athènes, révèle à la fois la fluidité dans les changements de statuts individuels et le caractère potentiellement subversif des relations affectives et sexuelles.

Par ailleurs, porteur des valeurs aristocratiques de l’élite (éloge de la bonne naissance, esprit de compétition…), le banquet privé (symposion) des Grecs, consacré notamment à la poésie et la discussion philosophique mais aussi à la boisson, à la musique et aux jeux, s’apparente à un contre-pouvoir, qui devient la cible des critiques de la part des défenseurs du peuple. Ainsi, au ve siècle avant J.-C., Aspasie, libre compagne (hetaira) du stratège grec Périclès, fut accusée d’influencer la politique de ce dernier, d’écrire certains de ses discours, de former des orateurs en politique et de tenir un bordel. Dans le roman Satiricon, écrit par Pétrone au ier siècle après J.-C., le banquet imaginé, offert par l’affranchi Trimalchion, pourrait mettre en scène les fantasmes romains sur le symposion grec, lieu où s’exprimerait la sexualité débridée des convives. Mais, aux yeux des Romains du ier siècle après J.-C., le Satiricon peut également être perçu comme une satire des banquets traditionnels qui, depuis le viiie siècle avant J.-C. en Étrurie et dans le Latium, réunissent des hommes avec leurs épouses (matronae) et leurs filles. Ainsi, la critique civique dénonce l’abandon au plaisir de ceux qui se donnent des airs aristocratiques ainsi que des puissants qui devraient s’occuper davantage des affaires communes que de leurs personnes.

L’empereur romain Tibère, qui installe des hommes et femmes prostitués à Capri, puis Caligula, son successeur à la tête de l’Empire, qui selon la version de l’historien Suétone crée un lupanar géant peuplé d’épouses et d’enfants des grandes familles offerts à la plèbe romaine, ne font qu’actualiser, selon la rhétorique républicaine, de vieilles pratiques de tyran : prostituer les bons citoyens pour mieux les humilier. En effet, dans l’idéologie civique, démocratique à Athènes ou républicaine à Rome, la personne libre est définie comme celle qui ne peut être vendue comme esclave et qui ne peut se vendre elle-même.

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Écrit par

  • : professeure des Universités en histoire ancienne, université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, directrice de l'UMR 8210 Anthropologie et histoire des mondes antiques

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Média

Graffiti érotique de Pompéi, I<sup>er</sup> siècle. - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Graffiti érotique de Pompéi, Ier siècle.