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PROSTITUTION DANS L'ANTIQUITÉ

Le blâme et le contrôle des hiérarchies sociales

À Athènes à l’époque classique, se prostituer n’est pas un délit. En revanche, prendre la parole devant une assemblée ou au tribunal est interdit à tout citoyen qui se prostitue. À Rome, à partir du iiie siècle avant J.-C., la prostitution, qui est une activité interdite pour les individus libres, est désignée comme stuprum, c'est-à-dire indigne. L’infamie qui frappe les hommes ou femmes prostitués – comme les comédiens et les gladiateurs – révèle une importante césure du point de vue politique : dans l’Antiquité, les personnes libres se définissent par leur capacité à être des citoyens, par une autonomie intellectuelle et corporelle que la prostitution ne permet pas puisqu’elle repose, dans l’esprit des Anciens, sur la soumission au plaisir d’autrui. Le blâme s’attache alors à celui qui répond au besoin et offre le plaisir, et non à celui qui le prend. Il stigmatise celui ou celle qui se place dans une position servile.

Certaines pratiques sexuelles sont particulièrement réprouvées, telles que la réception buccale ou anale du pénis et le cunnilingus. Néanmoins, les peintures des thermes suburbains de Rome ou des fragments de poteries gallo-romaines confirment que la réprobation sociale ne porte pas sur les pratiques sexuelles en tant que telles mais sur la personne libre qui s’y adonne, tel un esclave, pour favoriser la jouissance d’un autre. Les quelques cas d’épouses romaines de la fin de la République et de l’Empire, issues des classes supérieures voire du cercle impérial, qui choisissent de se livrer au plaisir avec d’autres que leur époux, ou même de s’inscrire comme prostituées, soulignent toutefois que le point de vue des institutions civiques et du respect des lois n’est pas toujours considéré comme un enjeu d’importance.

Dans l’Antiquité classique, utiliser sexuellement un ou une esclave est moralement neutre et tout à fait légal tant que les droits du propriétaire ne sont pas atteints. Les plus riches, qui possèdent leurs propres esclaves, n’ont pas besoin des bordels. Pour les plaisirs plus raffinés mêlant danse, musique et érotisme, ils organisent des banquets privés pour lesquels ils louent les services de spécialistes. Mais que l’amant de l’épouse (moichos en grec, mollis en latin : « celui qui s’adonne aux plaisirs »), plus que la femme infidèle, fasse l’objet de la même réprobation que le prostitué indique que, parmi les libres, les citoyens sont particulièrement visés : prostitués, ils sont jugés comme s’ils se comportaient en esclaves ; adultères (au sens antique), ils sont critiqués pour s’être montrés déloyaux.

Le blâme sur la prostitution participe ainsi d’un ensemble de normes visant à construire l’image idéale de l’individu maître de lui, c’est-à-dire du citoyen libre, solidaire et actif politiquement et, par conséquent, autorisé à prendre la parole devant les assemblées et les tribunaux. Il ne vise pas les femmes en tant que telles – ou uniquement lorsque, par l’intermédiaire de celles-ci, un citoyen est atteint dans sa dignité. Ce n’est qu’avec le développement du christianisme que le blâme visera à dissocier la mère et la putain.

— Violaine SEBILLOTTE CUCHET

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Écrit par

  • : professeure des Universités en histoire ancienne, université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, directrice de l'UMR 8210 Anthropologie et histoire des mondes antiques

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Média

Graffiti érotique de Pompéi, I<sup>er</sup> siècle. - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Graffiti érotique de Pompéi, Ier siècle.