PROSTITUTION DE 1949 À NOS JOURS
Prostitution, précarité et violence
La prostitution présente toutefois une caractéristique constante : elle recrute dans les couches les plus défavorisées ou vulnérables de nos sociétés. Certes, la figure de la « fille mère » démunie parce que rejetée par sa famille, ou celle de la jeune travailleuse au salaire insuffisant pour boucler ses fins de mois, ne sont plus aussi prégnantes que dans les années 1950 ou 1960. Mais une majorité de femmes et d’hommes prostitués se retrouvent toujours sur le trottoir pour surmonter une situation de détresse économique, et cela plus encore lorsque les moyens « normaux » de gagner sa vie (par le travail ou la protection sociale) leur sont inaccessibles. L’émergence, depuis les années 2000, d’une sexualité vénale exercée par des personnes d’origine ou de condition plus favorisées et maîtrisant les enjeux d’une conduite qui mêle attrait pour le sexe et exigences économiques ne doit pas occulter la prépondérance d’une prostitution précaire exercée dans des conditions d’extrême vulnérabilité. La prévalence de la toxicomanie parmi les prostituées, importante dans les années 1990, illustre les cercles vicieux qui enferment bon nombre d’entre elles dans une situation dégradée : si se prostituer permet de gagner l’argent nécessaire à l’achat de drogue, celle-ci rend en retour supportable une activité éprouvante, tout en condamnant la prostituée à la clandestinité inhérente à une consommation illégale et en l’exposant à de graves dangers pour sa santé. De fait, les conditions d’existence d’un grand nombre de prostituées sont extrêmement difficiles : isolées socialement et stigmatisées, exposées aux agressions des clients comme à la répression policière ou aux exactions de proxénètes, elles sont fréquemment dépourvues de logement fixe, de couverture sociale, éventuellement de titre de séjour, et leur état de santé physique comme psychique est parfois fragile. Si les prostituées ont dans leur ensemble intégré le risque du sida, celles qui connaissent les situations les plus défavorables peuvent être tentées d’accepter des pratiques sexuelles non protégées que les clients sont nombreux à leur proposer.
Le développement en France, depuis les années 2000, d’une importante prostitution d’immigrées constitue la dernière évolution notable. L’arrivée de jeunes femmes originaires d’Europe orientale, d’Afrique sub-saharienne ou, dans une moindre mesure, d’Asie, a contribué à actualiser un schéma tombé en désuétude depuis la seconde moitié du xxe siècle, celui de la traite des êtres humains. Les mouvements militants favorables à l’abolition de la prostitution ont abondamment recours au champ sémantique du « réseau » pour décrire la prostitution comme uniformément organisée par des proxénètes mafieux usant de tromperies et de violence pour contraindre de naïves jeunes femmes à migrer puis à se prostituer. Sans nier l’existence d’un proxénétisme international, on peut remarquer que l’omniprésence du stéréotype de la victime innocente et soumise de la traite tend à occulter la part d’initiative qui réside dans ces parcours migratoires et prostitutionnels et à ignorer ce que les oppressions et exploitations subies doivent aux politiques de fermeture des frontières et de répression des sans-papiers.
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Écrit par
- Lilian MATHIEU : sociologue, directeur de recherche au C.N.R.S.
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Média