- 1. Prostitution et citoyenneté dans l’Antiquité
- 2. La prostitution au Moyen Âge, une débauche réprimée ou contrôlée
- 3. La municipalisation de la prostitution à l’époque moderne
- 4. L’impact du réglementarisme, un modèle français du xixe au xxe siècle
- 5. Une question complexe en constante transformation
- 6. Bibliographie
PROSTITUTION EN EUROPE (HISTOIRE DE LA)
Attestée depuis l’Antiquité gréco-romaine, voire en des temps plus reculés, la prostitution est réputée être « le plus vieux métier du monde ». Pourtant, la définir a toujours suscité de nombreux débats. Le paiement de prestations sexuelles n’a jamais été considéré comme une banale rémunération et la pratique prostitutionnelle a sans cesse été confrontée aux mœurs et aux lois, qui sont les reflets de l’appréhension sociétale de la sexualité. Les paramètres dont les sociétés tiennent alors compte sont principalement la liberté, la dignité, la morale religieuse ou laïque, entre vertu et honneur, l’ordre – aux contours mouvants – et les impératifs sanitaires. Tous sont traversés par le genre, donc par les définitions du féminin et du masculin. Celles-ci, bien que variables, ont en commun de se déployer dans des sociétés patriarcales où la puissance virile est valorisée. La prostitution est ainsi sans cesse instrumentalisée à des fins qui dépassent la question du plaisir sexuel, qui pourrait ne relever que de la sphère privée. Aussi, l’histoire de la prostitution alterne, sans logique chronologique, des phases d’acceptation, comme dans l’Antiquité, de rejet moral dans le Moyen Âge chrétien, de réglementation, dans l’Europe du xixe siècle, de prohibition complexe, de tentatives d’abolition ou de banalisation à diverses époques… Aujourd’hui, son éventuelle requalification en « vente de services sexuels » divise l’opinion publique, y compris les féministes.
Pourtant, au cœur de cette diversité, deux invariants se dégagent, du moins jusqu’au xxe siècle. D’une part, la distinction est permanente entre le phénomène prostitutionnel – qu’il soit relié dans l’Antiquité au plaisir sexuel, fêté par la cité, ou qualifié, dans le xixe siècle bourgeois, de « mal nécessaire » aux besoins sexuels masculins irrépressibles – et la personne qui se prostitue, principal objet des critiques et des mesures coercitives. D’autre part, la lecture genrée de la prostitution est constante : elle ne semble destinée durant des siècles qu’aux femmes qui vendraient leurs charmes à une clientèle exclusivement masculine. Alors que les prostitués des deux sexes sont attestés dans la Mésopotamie du IIIe millénaire av. J.-C., y compris dans la « prostitution sacrée », comme dans la Grèce du ve siècle av. J.-C. aux pratiques pédérastiques courantes, la prostitution masculine est, à partir du Moyen Âge, le plus souvent tue ou à peine évoquée. Cette discrétion conforte la norme hétérosexuelle, et c’est précisément pour la protéger que la prostitution n’est pas abolie, mais le plus souvent encadrée. En effet, offrir aux hommes la possibilité de relations sexuelles, certes tarifées, avait pour but, dans l’Antiquité, de limiter l’homosexualité, ou de les en détourner à compter du Moyen Âge. Désormais, il s’agit de protéger la virilité du péché, du vice, de la maladie, selon la grille de lecture religieuse, morale, médicale qui qualifie les relations sexuelles entre hommes. Aussi, la prostitution homosexuelle est vilipendée. Cette condamnation laisse indemne de ce stigmate l’hétérosexualité masculine dominante et permet de nier aussi l’existence des besoins et désirs féminins qui seraient satisfaits par des hommes. De ce silence émerge, noyé dans le ridicule, au xxe siècle surtout, le couple formé par une femme mûre et son « gigolo ».
Si, aujourd’hui, l’historiographie porte les traces de cette approche qui défigure la réalité, souvent encore insaisissable, de la prostitution, elle s’est efforcée de s’écarter de ces postulats et de battre en brèche les idées reçues, inattentives à la spécificité contextuelle qui modifie l’appréhension de la prostitution, de ses actrices et acteurs.
Prostitution et citoyenneté dans l’Antiquité
Dans l’Antiquité,[...]
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Écrit par
- Yannick RIPA : professeure des Universités
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