PROSTITUTION DE 1789 À 1949
Le mouvement abolitionniste
Malgré son expansion, le réglementarisme est fortement critiqué. Les protestations des féministes britanniques se manifestent dès l’importationdu système français, et se concrétisent par la fondation, en 1875, par une figure féministe, Josephine Butler, de la Fédération britannique continentale et générale pour l’abolition de la prostitution (devenue Fédération abolitionniste internationale, F.A.I., à Genève). La « croisade » de Butler est moralisatrice : elle condamne la prostitution et veut remettre dans le droit chemin les prostituées, des « sœurs » déchues. En France, les arguments avancés contre le réglementarisme sont plus juridiques, politiques et sanitaires : pour la philosophe féministe Maria Deraismes, les maisons closes sont des concessions aux exigences masculines, tandis que le journaliste féministe membre de l’extrême gauche radicale Yves Guyot lance en 1876 une campagne abolitionniste dans le journal Les Droits de l’homme puis dans La Lanterne. Selon lui, le réglementarisme et son instrument, la police des mœurs, ne respectent pas les droits de l’homme, puisque leur action, qui ne touche que les prostituées, est contraire au principe d’universalité. Des médecins, tels que le Français Louis Fiaux, soulignent, quant à eux, l’échec du réglementarisme, puisque la contamination vénérienne, celle de la syphilis surtout, n’a pas reculé.
Le mouvement abolitionniste, souvent soutenu par la franc-maçonnerie et les réseaux protestants, se diffuse grâce aux branches nationales et aux nombreux congrès de la F.A.I., et cela malgré l’apparition de dissensions internes. En effet, deux tendances s’opposent : d’un côté, les prohibitionnistes veulent l’interdiction du réglementarisme et de la prostitution ; de l’autre, les abolitionnistes, ennemis du réglementarisme, considèrent, en libéraux, que la prostitution – un contrat passé entre deux adultes consentants – ne concerne pas l’État ; Yves Guyot affirme même que les femmes sont libres de l’usage de leur corps.
Les féministes dénoncent la misère féminine ; les radicales allemandes mettent, en février 1900, l’abolitionnisme en tête de leur programme, au nom du « devoir moral » envers les individus. Les aides pour la réinsertion des prostituées se multiplient (fondation de l’organisation caritative L’Œuvre libératrice par la féministe française Avril de Sainte-Croix, en 1901).
Malgré sa vitalité, le combat abolitionniste connaît peu de succès (fin du réglementarisme au Royaume-Uni en 1886, fermeture des maisons closes à Lugano en 1886, à Lausanne en 1899…), alors que les Italiens Cesare Lombroso et Guglielmo Ferrero affirment, avec succès, dans La Femme criminelle et la prostituée, l’existence de prostituées-nées, reconnaissables à des spécificités physiques (largeur des cuisses, épaisseur des lèvres pubiennes, taille du clitoris).
Les courants migratoires de la fin du xixe siècle internationalisent le commerce du sexe. Dès lors, la F.A.I. accroît et déplace son champ d’action pour lutter contre « la traite des Blanches » (le trafic des femmes). Mais, lors de la Première Guerre mondiale, satisfaire les besoins sexuels des soldats l’emporte sur toute autre considération : des « bordels de campagne » sont alors ouverts (en France en mars 1918) pour contrôler l’afflux des prostituées auprès des poilus.
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Écrit par
- Yannick RIPA : professeure des Universités
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Médias