PROTECTION DE LA NATURE Aires protégées
Quel futur pour les aires protégées ?
À l'heure du développement des études globales sur l'état de la biodiversité, les aires protégées se trouvent dans une position délicate. Il est certes reconnu que leur présence a permis la sauvegarde d'espèces et de milieux naturels importants. Pour autant, la réduction de la biodiversité mondiale continue à un rythme effréné. Cela tient à la disjonction qui existe entre les répartitions des espèces animales et végétales menacées et la couverture mondiale des aires protégées, ainsi qu'à la persistance d'une volonté politique de créer plus d'espaces de ce type sans que cette volonté soit corrélée aux besoins identifiés par les écologues (Rodrigues et al., 2004, cf. Un réseau de protection imparfait mais nécessaire). Paradoxalement donc, la progression historique importante des aires protégées n'assure pas une couverture la plus efficace possible, et laisse ouverte la question de savoir si des créations ciblées ne sont pas plus efficaces qu'une politique expansionniste. Mais la réduction de la biodiversité tient également au rapport de dépendance qu'entretient le monde de la conservation par rapport au système mondial dans son fonctionnement commercial et politique. Il apparaît alors à certains légitime de questionner l'efficacité du réseau des aires protégées, sa capacité d'adaptation et de diversification, ainsi que sa pertinence face aux nouveaux enjeux écologiques à l'échelle planétaire.
Avec le rapprochement des logiques d'environnement et de développement et avec le renforcement de la globalisation, les aires protégées peuvent néanmoins se voir attribuer une place centrale dans les politiques territoriales. Si ces espaces ont constitué le principal objet des politiques de conservation tout au long du xxe siècle, ils l'ont été dans un cadre où la protection de la nature restait un enjeu marginal relégué à des réserves périphériques. Désormais, les espaces de conservation se trouvent au centre d'une problématique qui touche l'ensemble des territoires de la planète et qui consiste à savoir si l'environnement doit s'imposer comme référentiel global des politiques ou s'il doit au contraire rester marginal face aux forces du développement, de l'exploitation des ressources et des modifications biogéophysiques d'origine anthropique planétaires. Pour les aires protégées, cela revient à évaluer si elles ont vocation à devenir l'un des outils privilégiés des politiques de développement durable, ou si elles doivent au contraire se cantonner à un rôle plus restreint de protection d'une biodiversité « sauvage ». Cette alternative est au cœur des politiques contemporaines de conservation de la nature ; elle a justifié et structuré toutes les modifications et toutes les avancées de la conservation depuis plus de trente ans.
Dans l'hypothèse extrême d'une diffusion de politiques « soutenables » dans tous les domaines de la société, il est possible que les aires protégées perdent de leur spécificité, conduisant à une remise en cause de leur légitimité et donc de leur statut même. Dans l'hypothèse plus probable où la préoccupation environnementale et la dynamique de développement s'avéreraient inconciliables, les aires protégées continueraient à rendre des services environnementaux non négligeables par rapport à d'autres types d'espaces plus dégradés. Dans ce cas, cependant, la question qui a hanté la majeure partie de l'histoire de la conservation va se prolonger : les aires protégées, devenues normes globalisées de la protection de la nature, auront-elles la capacité de prendre en compte la diversité qui se niche au cœur des dynamiques écologiques et qui fonde la richesse de l'humanité ?
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Écrit par
- Alain JEUDY-DE-GRISSAC : responsable du programme d'assistance technique de l'Union européenne pour le développement des aires protégées du golfe d'Aqaba (Égypte)
- Estienne RODARY : géographe, chargé de recherche à l'Institut de recherche pour le développement
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