PROTECTION SOCIALE
Naissances des États-providence
Une chose est sûre : toutes les formes et techniques de protection, aujourd'hui identifiées, étaient connues et pratiquées en Europe occidentale dès avant 1914. Mais leur coexistence dans un pays donné ne permet pas de conclure à la réalité d'un État-providence où, pour bénéficier du droit aux prestations ou aux allocations, il suffit de relever de catégories prédéfinies (malade, invalide, retraité, chômeur, etc.). La construction des États-providence impliquait et la reconnaissance du principe d'obligation, et la généralisation de la prévoyance obligatoire à des populations exposées aux mêmes risques sociaux pour éviter les laissés-pour-compte. Or cette évolution ne s'est pas opérée, jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, au même rythme ni sur des fondements homogènes.
C'est l'Allemagne bismarckienne qui montra la voie à bien d'autres pays (Autriche, Pays-Bas, Roumanie, Hongrie, Russie, Norvège, Suède, Suisse) en créant, dès les années 1880, un système d'assurances sociales (maladie, accidents du travail, vieillesse), financé par une double contribution ouvrière et patronale. L'objectif de Bismarck était cependant moins de régler la question du paupérisme que de résoudre la question sociale en détournant les élites ouvrières des sirènes socialistes. Au Royaume-Uni, le système mis en place dans les années 1908-1911 s'inspirait surtout du souci de rompre avec l'assistance ancienne qui stigmatisait la pauvreté depuis une loi de 1834. C'est ainsi que les lois de 1906 (Old Age Pensions Act) et de 1911 (National Health Insurance) instituèrent, pour la vieillesse et pour la maladie, un système social étatisé, mettant fin à une longue tradition d'économie libérale, hostile à toute intervention sociale de l'État.
La France se distingue de ces deux modèles – dont elle désapprouvait les velléités autoritaires (Allemagne) ou étatistes (Angleterre) – par son incapacité à privilégier, jusqu'en 1914, une forme quelconque de protection sociale, fût-elle facultative ou obligatoire. C'est en fait la Première Guerre mondiale qui l'a contrainte, par ses conséquences sociales et sanitaires, à étendre significativement la prévoyance obligatoire (assurances sociales et assistance sociale publique et militaire). Dans un contexte devenu fortement inflationniste et donc défavorable à l'épargne, cette dernière était assurément la mieux adaptée à la nouvelle structure sociale marquée par la disparition des rentiers et le développement du salariat aux dépens des couches moyennes non salariées.
Mais cette mutation, qui s'est accompagnée d'un développement spectaculaire de l'assistance militaire fondée sur le principe d'une dette contractée par la nation à l'égard de ses défenseurs (pensions versées aux anciens combattants), fut retardée, jusqu'à la fin des années 1920, par une coalition hétérogène, mue par des intérêts corporatistes ou idéologiques. Médecins libéraux, conservateurs, économistes libéraux, mutualistes, agriculteurs, artisans et commerçants, syndicalistes, patrons, tous s'opposèrent au projet gouvernemental de 1921, qui, s'inspirant sans le dire du modèle bismarckien, préconisait la régulation de l'assurance-maladie par les caisses, la modernisation de l'appareillage sanitaire et social français, et la collaboration de la classe ouvrière à l'œuvre sociale. Rien d'étonnant donc, si de nombreux compromis furent passés entre ces groupes organisés et une haute fonction publique volontariste (Georges Cahen-Salvador, Jacques Ferdinand-Dreyfus, Pierre Laroque), soutenue par des hommes politiques non moins convaincus (Léon Bourgeois, Alexandre Millerand, Justin Godart, Alexandre Parodi). Le système des assurances sociales (maladie, vieillesse, invalidité décès), qui allait couvrir jusqu'à 15 millions de personnes en 1945, se gardait[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Vincent VIET : docteur en histoire, habilité à diriger des recherches, chargé de mission au ministère de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement
Classification
Média
Autres références
-
ALLEMAGNE (Politique et économie depuis 1949) - L'Allemagne unie
- Écrit par Étienne DUBSLAFF , Encyclopædia Universalis et Anne-Marie LE GLOANNEC
- 9 694 mots
- 4 médias
...instaurées ; des allégements de charges sociales sur les bas salaires (Kombilöhne) sont mis en œuvre afin de rendre l'embauche plus attractive. Enfin, la réforme Hartz IV, la plus connue, instaure la fusion, le plafonnement et la limitation dans le temps des diverses formes d'assurance-chômage... -
BELGIQUE - La période contemporaine
- Écrit par Encyclopædia Universalis , Jean FANIEL et Xavier MABILLE
- 9 057 mots
- 3 médias
Enfin, l’accord implique un transfert massif de nouvelles compétences aux entités fédérées, en particulier en matière d’emploi, de soins de santé et d’aide aux personnes. Pour la première fois, la sécurité sociale et la justice seront affectées directement par une réforme institutionnelle : en termes... -
BEVAN ANEURIN (1897-1960)
- Écrit par Roland MARX
- 556 mots
- 1 média
L'un des plus importants chefs travaillistes britanniques entre 1930 et 1960, Aneurin Bevan fut l'un des plus fermes avocats d'une véritable socialisation de la Grande-Bretagne. Fils de mineur, il doit lui-même abandonner la mine, à cause d'une maladie des yeux. Adversaire virulent de la prudence...
-
BEVERIDGE WILLIAM HENRY (1879-1963)
- Écrit par André TUNC
- 769 mots
- 1 média
Après des études à Oxford, Beveridge est nommé, à vingt-quatre ans, sous-directeur d'un foyer londonien à but philanthropique ; bientôt il dirige les services officiels de chômage et de placement. Ces activités l'amènent à se pencher sur le problème de l'emploi. Nommé directeur de la London School...
- Afficher les 34 références