PROTÉINES (histoire de la notion)
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Le terme « protéine »apparaît en 1838 dans un article publié par le chimiste hollandais Gerrit Mulder. Mulder étudiait la composition élémentaire de substances azotées d'origine animale comme la fibrine, l'albumine et la gélatine. Il employait à cet effet une méthode de combustion inventée dans les années 1810 par Joseph Gay-Lussac et Louis Jacques Thénard. En application de la loi des proportions multiples, qu'avait formulée le physicien et chimiste anglais John Dalton et qui est à la base de la théorie atomique, Mulder avait conclu à la présence, dans les substances organiques animales qu'il analysait, de carbone, d'azote, d'oxygène et d'hydrogène, associés à de petites quantités de soufre et de phosphore. L'idée alors émergea que dans les diverses molécules organiques azotées du monde vivant, une copule minérale formée de phosphore et de soufre était associée à un noyau organique azoté. Le noyau azoté étant commun aux différentes espèces moléculaires azotées, il semblait logique d'attribuer à la copule minérale la spécificité fonctionnelle caractérisant les substances analysées, comme l’activité enzymatique tout juste identifiée. Le chimiste suédois Jöns Berzelius avait suggéré à Mulder de donner au noyau azoté le nom de protéine (tiré du grec prôteios, « prééminent », « qui vient en premier ») pour souligner son rôle essentiel. C'est pourquoi dans l'article publié par Mulder, les formules proposées pour la fibrine et le sérumalbumine prennent la forme générale Pr + SP, Pr désignant le noyau protéique azoté de la molécule et SP une propriété spécifique.
Si le terme « protéine » utilisé par Mulder en 1838 signe bien l'acte de naissance de la « protéinologie », il est indéniable que, dès le xviiie siècle, des substances du type protéine appartenant au monde vivant avaient déjà été recensées par des chimistes. À titre d'exemple, en 1728, un médecin et chimiste de Bologne, Bartolomeo Beccari, intéressé par la physiologie de la nutrition, mentionne la présence, dans la farine de blé, non seulement d'amidon, matériau déjà connu, mais aussi d'une substance qui, triturée avec de l'eau, prend une consistance de glu. Pour cette raison, cette substance reçoit le nom de gluten (du latin glutinum, « colle »). Dans la deuxième moitié du xviiie siècle, des travaux réalisés en particulier par des chimistes français (Hilaire Martin Rouelle, Antoine François de Fourcroy, Louis Nicolas Vauquelin et Claude Berthollet) avaient aussi mis en évidence dans des extraits de plantes et de tissus animaux des substances gélatineuses riches en azote dont les propriétés ressemblaient à celles du gluten : consistance, couleur, coagulation par la chaleur, libération d'ammoniac par décomposition. Par référence à l'albumine du blanc d'œuf qui présentait de semblables caractères, on était convenu de qualifier ces substances d'« albumineuses » ou « albuminoïdes » (du latin albus, « blanc »).
L'identification des acides aminés
En 1820, le chimiste français Henri Braconnot traite la gélatine animale par de l'acide sulfurique, y ajoute de l’eau, puis chauffe le mélange pendant plusieurs heures. Au repos se déposent alors des cristaux dont l'analyse élémentaire révèle la présence d'azote. La substance dont sont formés les cristaux possède une saveur sucrée. Pour rappeler que la gélatine en est la source, Braconnot propose de l'appeler « glycocolle » (sucre de colle). Au cours de la même étude, Braconnot obtient, par traitement de la laine et de la fibrine, un produit qui cristallise en aiguilles blanchâtres auquel il donne le nom de « leucine » (du grec leukos, « blanc »). Glycocolle et leucine furent les deux premiers acides aminés (aminoacides) isolés à partir d'hydrolysats de tissus d'origine animale. En 1846, Liebig isole à partir de la caséine du lait un troisième aminoacide qu'il appelle « tyrosine » (du grec turos, « fromage »). Dans les décennies suivantes, les vingt principaux aminoacides qui entrent dans la composition des protéines seront isolés, identifiés et caractérisés structuralement (il faudra attendre 1935 pour la thréonine). Tous possèdent un groupement carboxylique, acide, et un groupement amine, basique, d’où leur nom d’aminoacides ou acides aminés.
En 1846 toujours, Friedrich Bopp, un élève de Liebig, montre que la sérumalbumine, la fibrine et la caséine contiennent des quantités légèrement différentes de leucine et de tyrosine. Bien que commentée avec prudence, cette observation porte en germe la notion d'une spécificité des protéines liée à une différence dans leur composition en aminoacides. Les matières albuminoïdes sont donc constituées – du moins en majorité – d’acides aminés et il en existe de plusieurs types, dont certains, comme la fibrine, le collagène ou l’albumine, sont bien identifiés. Le terme de protéine prend alors son sens actuel en désignant des espèces macromoléculaires précises.
À la fin du xixe siècle, deux concepts majeurs de la chimie organique, désormais bien acceptés – celui des « molécules » comme assemblage d'atomes et celui de la « quadrivalence » du c arbone (1848) –, contribuent au développement de la chimie des protéines. On découvre alors que, dans les aminoacides qui entrent dans la composition des protéines, à l'exception toutefois de la glycine, le carbone qui porte à la fois le groupe aminé (NH2) et le groupe carboxylique (CO), est asymétrique et possède une chiralité lévogyre.
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Écrit par
- Pierre VIGNAIS : professeur de biochimie honoraire, université Joseph-Fourier, Grenoble
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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