PROTESTANTISME Protestantisme et société
La politique et la culture
L'existence d'un lien privilégié entre le protestantisme et la démocratie, le progrès culturel était couramment admis au xixe siècle. Mise en question vers 1930, cette thèse est partiellement reprise aujourd'hui sous une forme nouvelle.
Au cours des années soixante, on a fortement insisté sur le rôle joué par le protestantisme dans la défense de l' ordre politico-social. En société de chrétienté, toute théorie politique et sociale possédait un fondement, une justification théologique. Le protestantisme fut à l'origine une force de rupture et de subversion (l'empereur était défié presque autant que le pape). Mais, lors de la guerre des Paysans, Luther prit parti pour l'absolutisme des princes. Calvin, à diverses reprises, ne se montra guère plus démocrate. Très vite, l'« érastianisme », doctrine prônant une certaine dépendance de l'Église par rapport aux pouvoirs temporels, fut de règle dans la grande majorité des territoires protestants. Comme l'Église catholique, le protestantisme, dans les pays où il est devenu une religion d'État, constituait un relais idéologique essentiel pour maintenir le peuple dans la soumission à l'ordre social. Charles Ier, chef de l'Église anglicane, affirmait : « En temps de paix, la prédication plus que l'épée gouverne les peuples. » Au xviie siècle et jusqu'à la révocation de l'édit de Nantes, plusieurs élites du protestantisme français développèrent une théologie de l'absolutisme de droit divin. Au xviiie siècle, le méthodisme anglais a été un facteur de conservatisme social. Au cours du xixe siècle, aux États-Unis, certains pasteurs exhortaient les Noirs à bien servir leurs maîtres. D'une manière générale, la prédication missionnaire a enseigné la soumission aux puissances colonisatrices.
Ceux qui ne retiennent, cependant, que cet aspect des rapports entre le protestantisme, le pouvoir politique et l'ordre social, ont une vision de l'histoire plus idéologique que scientifique. D'abord, certaines de ces attitudes doivent, pour se comprendre, être replacées dans leur contexte. Ainsi, au xvie et au xviie siècle, le nationalisme, incarné par le pouvoir du roi (ou des princes territoriaux), représentait une idée neuve, qui se définissait contre la société médiévale de chrétienté, contre le féodalisme et le Saint-Siège. D'autre part, s'il est inexact de voir en Calvin le précurseur de la Révolution de 1789, on trouve néanmoins dans le calvinisme l'amorce de l'idée d'une opposition constitutionnelle. Dans certains cas, la légalité pouvait être assumée par les « magistrats inférieurs ». De même, la suppression de l'épiscopat par les Églises presbytériennes fut considérée comme politiquement dangereuse. L'historien marxiste C. Hill a montré la place primordiale du puritanisme dans le climat intellectuel qui a favorisé la première révolution anglaise. Ce n'est pas un hasard si ce que C. B. Macpherson appelle l'« individualisme possessif » (chaque individu est propriétaire de son corps et de ses capacités) est né en terreau protestant anglo-saxon. Enfin, A. Heimert a critiqué la thèse traditionnelle selon laquelle la paternité de la révolution américaine revenait au courant rationaliste ; les tendances évangéliques ont apporté à cette révolution une idéologie démocratique. De son côté, le piétisme, sans souhaiter bouleverser l'ordre social, a développé une doctrine comportant certains aspects égalitaires. Plusieurs courants importants du protestantisme ont donc contribué au développement de certains aspects de la démocratie. À un niveau sociologique, on peut même parler d'une certaine affinité élective entre protestantisme et démocratie : en fragmentant le pouvoir religieux, le protestantisme peut favoriser la démocratisation[...]
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Écrit par
- Jean BAUBÉROT : directeur d'études émérite du groupe Sociétés, religions, laïcités au C.N.R.S.
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