PROTOHISTOIRE
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Civilisations du bronze
Assimilant rapidement les progrès métallurgiques réalisés au Proche-Orient, la Méditerranée occidentale est le berceau vers l'an 2000 des premières civilisations européennes du bronze. C'est tout d'abord le centre des Cyclades qui produit ces idoles de marbre blanc au visage stylisé représentant des déesses ou des musiciens, de même qu'une céramique originale célébrant la mer et la navigation avec de curieuses « poêles à frire » ornées de galères à l'emblème du poisson. La Crète prend le relais de l'hégémonie égéenne et construit ses magnifiques palais aux fresques naturalistes. Vers 1600, elle subira le joug des Achéens de Mycènes dont la civilisation – qui à son tour disparaîtra vers 1200 devant les premières civilisations du fer – témoigne d'un art architectural remarquable avec ses tombes à coupoles comme les célèbres « tholoï » d'Atrée ou de Clytemnestre. Dans leurs tombes à fosses, les guerriers mycéniens emportaient de magnifiques armes incrustées d'or et d'argent. Heinrich Schliemann, qui découvrit ces premiers seigneurs aux masques mortuaires recouverts d'or, crut y retrouver les héros célébrés dans la geste homérique, petite erreur chronologique rectifiée par la suite. Le monde créto-mycénien connaît très tôt un système d'écriture, le linéaire B, proche du grec archaïque et qui, de ce fait, appartient déjà aux civilisations historiques. Mais les relations qu'entretient alors le monde égéen avec les « barbares » européens procurent au protohistorien de précieux synchronismes ou « cross-dating ». Ainsi, on trouve des perles d'espacement, en ambre, aussi bien dans la tombe à tholos de Kakovatos en Grèce que dans les tumulus d'Allemagne.
Il est d'usage de distinguer dans l'âge du bronze européen trois stades successifs : l'ancien, le moyen et le final. Au stade du Bronze ancien, que l'on peut dater en moyenne de 1900 à 1500 avant J.-C., l'étain apparaît dans les alliages qui remplacent la gamme des cuivres du Chalcolithique. Les armes se perfectionnent ; les poignards triangulaires garnis de rivets à la garde le disputent aux lames à languette en cuivre. Toute une série de haches munies de rebords se substitue aux haches plates, la parure se diversifie et les premières épingles en bronze concurrencent l'usage de l'os. Le rite des sépultures individuelles se développe, aboutissant tantôt à des cimetières de tombes et coffres, tantôt, sous des formes « princières », à la construction de grands tumulus. Parmi les groupes culturels du Bronze ancien, quelques centres semblent avoir joué un grand rôle dans la diffusion des nouveautés. De Bohême, le groupe d' Unetice va rayonner sur toute l'Europe centrale et donner lieu à la naissance de centres dérivés : celui de Leubingen en Saxe, à grands tumulus recouvrant des maisons funéraires en bois, ou celui de Straubing, en Bavière, dont les artisans fabriquent en série des bracelets formés d'un jonc de bronze enroulé en spirale. Les productions unéticiennes, poignards ou haches, atteignent les Pays-Bas, la France et même la Grande-Bretagne. En Suisse et dans la vallée du Rhône, la civilisation de Saône-Rhône emprunte également à Unetice, mais sait s'en démarquer par la production de très beaux poignards décorés à manche en bronze, d'épingles et de haches à rebords originales et d'une céramique particulière comprenant de grandes jarres ornées de cordons. Des Alpes italiennes nous proviendraient les premières roues en bois à rayons, retrouvées dans les lacs. Au sud-est de la péninsule Ibérique, El Argar est un centre de production d'argent, bandeaux à palettes ou torsades que l'on retrouve dans les sépultures en coffres ou en jarres, relevant d'un rite d'origine orientale. La quête de l'ambre, du cuivre, de l'or et de l'étain entraîne la richesse des populations riveraines de la Manche et de la mer du Nord. Les civilisations jumelles du Wessex anglais et de Bretagne inhument leurs petits seigneurs dans des tombes sous tumulus avec un mobilier parfois somptueux, de magnifiques flèches en silex, des armes en bronze rehaussées d'or et même de la vaisselle en métal précieux. L'Irlande exploite intensivement son cuivre et produit les célèbres lunules, gorgerins d'or exportés ou imités sur le continent. Les derniers grands temples mégalithiques comme Stonehenge au Wessex, destinés au culte solaire, sont achevés.
Au Bronze moyen (1500-1100) se perfectionne la production métallique : épées, pointes de lance à douille, haches à talon et ailerons, etc. La vie reste agricole et pastorale dans de modestes villages de huttes en bois dans les régions tempérées ou de cabanes en pierres dans les pays méditerranéens. La civilisation des tumulus (Hügelgraberkultur) recouvre la majeure partie de l'Europe avec de nombreux faciès régionaux. La poterie est « excisée » pour faire surgir en relief les décors géométriques. De Haguenau en Alsace proviennent de magnifiques jambières à spirale en bronze. Dans la zone atlantique, les derniers tumulus sont remplacés par des incinérations en urnes. Les peuples de la Méditerranée utilisent des poteries à anses surmontées de boutons ou d'appendices facilitant la préhension (Polada, Italie du Nord). En Corse s'élèvent des menhirs sur lesquels sont gravés des guerriers armés d'épées et coiffés de casques à cornes. Le bronze nordique apparaît. Dans les cercueils de chêne, les vêtements de laine et de lin se sont conservés : petites jupes à franges ou longues robes assorties à des pull-overs pour les femmes, toge et cape pour les hommes coiffés de bonnets de laine à armature d'écorce, les femmes portant des résilles. La mythologie s'enrichit ; le chariot de Trundholm porte un disque d'or tiré par un cheval de bronze. Le feu, le cheval, le char, le soleil, ces thèmes cultuels viennent s'associer aux anciens rites de fertilité encore en usage : cornes votives que l'on retrouve dans les sanctuaires alpins (Mont-Bégo, Val Camonica).
Le Bronze final (1100-700) est une période complexe de mutations variées. Dans les champs d' urnes, sépultures à incinération, les urnes funéraires sont accompagnées de vases à offrandes ou d'armes parfois brisées. De multiples « vagues de champs d'urnes » ont été reconnues en Europe. À l'ancienne théorie d'une origine lusacienne, on préfère celle de groupes originaires d'Allemagne du Sud. Mais, plus qu'un phénomène de migrations successives, il semble que les mutations se soient produites par simples échanges commerciaux ou culturels entraînant un passage graduel des groupes des tumulus du Bronze moyen à ceux des champs d'urnes. Le mobilier de la nécropole de la Colombine (Yonne) donne ainsi un exemple de métissage entre les deux types de civilisation : si une défense de sanglier enchâssée de spirales en bronze est un bijou typique du Bronze moyen, les céramiques globuleuses à décor cannelé annoncent le renouvellement de l'art céramique. Près des sépultures à incinération parfois entourées de fossés rituels sont aménagés des enclos jouant le rôle de sanctuaires (Champagne). Dans les palafittes, ou villages sub-lacustres des Alpes, une énorme production métallique fournit la « pacotille des champs d'urnes », épingles, rouelles, pendentifs, etc., mais aussi haches et épées à manches de bronze. Les faucilles produites en abondance (dépôt de Briod, Jura) témoignent à la fois de l'importance de l'agriculture et de l'utilisation permanente du métal pour les objets les plus usuels. Dans la zone atlantique, on connaît les populations du Bronze final surtout par leurs dépôts d'objets en bronze : épées à pointes rétrécies, dites en langue de carpe, ou haches à ailerons et à douille. Quelques sépultures en urnes viennent se mêler à des tombes ou tombelles très pauvres. C'est au Bronze final que se développent certains aspects originaux de l'architecture mégalithique méditerranéenne : talayots des Baléares, torres de Corse ou nouraghes de Sardaigne, qui se prolongent à l'âge du fer.
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Écrit par
- Jacques BRIARD : maître de recherche au C.N.R.S.
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