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PROVERBES

Les « petites phrases »

La révolution industrielle, l'apparition de nouveaux médias et l'explosion démographique obligent les spécialistes à vulgariser leurs découvertes. Chaque savoir cherche à se diffuser le plus possible par des formules chocs. Dans le secteur de la réflexion politique et sociale, ces formules à l'emporte-pièce deviennent vite des «  slogans » ; par exemple : « Liberté, égalité, fraternité », des révolutionnaires de 1789 ; « La propriété c'est le vol », de Proudhon ; « La religion est l'opium du peuple », de Marx. La structure de ces slogans est encore améliorée et simplifiée dans les mots d'ordre des manifestations de masse, qui, comme les proverbes, se caractérisent par une certaine indépendance grammaticale : « Pas de canons, des écoles » ; « Des sous, Pompon » (Pompidou). Le libéralisme propose, lui aussi, ses « petites phrases » : « Laisser faire, laisser passer (Quesnay), « Enrichissez-vous » (Guizot), etc.

Parallèlement, la société de consommation s'efforce de récupérer les techniques des proverbes, considérés comme des modèles de messages efficaces (en particulier par leur créativité stylistique, rimes internes, assonances, choc de phonèmes ou d'images, laconisme, etc.) dans le « marketing » de ses « produits », industriels ou politiques : « Dubo, Dubon, Dubonnet ». « I Like Ike », « La force tranquille », orientation qu'on retrouve dans les campagnes médiatiques de prévention : « Les parents boivent, les enfants trinquent » ; « Un verre ça va, trois verres, bonjour les dégâts » ; « Auto macho, auto bobo ». Mais il s'agit de formules inspirées en général par la recherche du profit et popularisées plutôt que véritablement populaires.

Le peuple continue pourtant à créer des proverbes, mais ils affleurent et se répandent essentiellement en période de crise, par exemple lorsqu'un groupe social ou une nation opprimée se trouvent obligés d'affirmer leur identité et leur force : « Dieu parle une langue étrangère » (Ovambo), « On ne pisse pas contre le typhon » (îles Fidji). Ce n'est sûrement pas un hasard si les plus beaux proverbes français de notre temps sont apparus sur les murs de la faculté de Nanterre en mai 1968 : « Métro, boulot, dodo » (Pierre Béarn) et « Sous les pavés, la plage ».

Autre caractéristique de notre époque, le détournement systématique d'expressions proverbiales et de proverbes, à la fois sur le plan phonétique et sémantique, ce qui mène à des « métaproverbes » qui ironisent sur les slogans publicitaires et sur les principes mêmes de notre société : « On a souvent besoin d'un plus petit que soi, pour lui casser la gueule » (P. Perret) ou Les Proverbes d'aujourd'hui de Guy Béart.

Ces analyses permettent une hypothèse sur l'élaboration des proverbes et sur leurs auteurs. Ceux qui les inventent, qu'ils soient ou non d'origine populaire et qu'ils restent ou non anonymes, sont des créateurs à part entière. Leurs formules, parce qu'elles expriment les contradictions de l'époque en termes brefs, neufs et drôles, font mouche et chacun se les approprie au point que le nom de l'auteur finit par se perdre. Chaque usager devient coauteur, ce qui est finalement le but et le sens de l'art véritable.

— Marc SORIANO

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Écrit par

  • : docteur ès lettres et sciences humaines, professeur émérite à l'université de Paris-VII-Jussieu

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