PRUNIER EN FIOLE D'OR (JIN PING MEI), anonyme Fiche de lecture
Une fresque pimentée
Il ne faut en aucun cas limiter le Jin Ping Mei à un exposé de la vie de débauchés et de courtisanes sous les Song. Certes, l'auteur stigmatise les vices de la classe aisée et se livre à une radicale critique sociale. Mais la satire demeure au service d'une analyse très subtile des caractères psychologiques. L'histoire de la chute d'une maison provoquée par des revers de fortune, ou l'inconduite de son principal responsable – ici Ximen Qing – est un motif traditionnel. Or le propos est moral, et les « jolies petites garces qui n'hésitèrent pas à se vendre et à s'entre-déchirer pour gagner les faveurs des messieurs » ne peuvent que connaître une fin tragique et dégradante : « Elles ne purent éviter qu'on retrouvât leur corps sous la faible clarté d'une lampe, dans une pièce nue, éclaboussée de sang. » La fin du roman en appelle à la doctrine bouddhique pour briser le karma néfaste que le père a transmis à l'enfant : le moine Pujing fait disparaître les chaînes dont l'image de Ximen Qing est chargée, afin qu'apparaisse à sa place son fils Xaoge, dormant paisiblement. De même, le principe bouddhique de rétribution marque le destin des personnages. La transmigration des âmes éclairant d'un prolongement religieux et éthique les actes de chacun. Cela explique peut-être en partie que le Jin Ping Mei ait été regroupé avec deux autres œuvres majeures de la littérature chinoise, Au bord de l'eau et Le Voyage en Occident, sous le vocable des « Trois Grands Livres remarquables ».
Son propos souvent licencieux, ses nombreuses descriptions obscènes, son vocabulaire ordurier valurent longtemps au Jin Ping Mei d'être considéré comme un livre pornographique et de connaître les enfers littéraires. En fait, la force du vocabulaire éclate dans la vivacité des dialogues, où le recours à la vulgarité est fréquent, éclairant d'une stupéfiante modernité ce texte classique de la littérature de l'ancienne Chine : « Va me chercher un couteau ! Je vais découper la savate de cette salope en petits morceaux et je m'en vais te les jeter dans les chiottes, pour qu'elle reste en enfer, cette salope, et qu'elle n'en sorte jamais ! » Ce qui n'empêche nullement l'exquise délicatesse déployée pour décrire l'habileté du censeur Cai Jing, conseiller de l'empereur, à composer un poème parfait dans le style et le choix des caractères : « ... à la lueur de la lampe, sans qu'il marquât la moindre pause, le pinceau courut sur la soie ; on vit les caractères se dérouler et ondoyer comme anneaux de serpents et dragons ». On le voit, la richesse du texte réside dans la diversité des registres, dans sa force satirique et parodique, et dans sa puissance d'évocation d'une société corrompue au bord de l'effondrement.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean-François PÉPIN : agrégé d'histoire, docteur ès lettres, professeur au lycée Jean-Monnet, Franconville
Classification
Autres références
-
JIN PING MEI [KIN P'ING MEI] (fin XVIe s.), roman
- Écrit par André LEVY
- 1 744 mots
Le Jin Ping Mei, roman-fleuve de la fin du xvie siècle, en cent chapitres, se range parmi la demi-douzaine de chefs-d'œuvre de la littérature romanesque chinoise en langue vernaculaire. Ouvrage anonyme auréolé d'une réputation pornographique, noir et burlesque, érotique et satirique, il reste largement...