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PSST...! (févr. 1898-sept. 1899)

La publication de Psst... !, hebdomadaire de quatre pages, tiré en noir, correspond à une période très précise de l'affaire Dreyfus : celle de la révision. À la suite de différentes révélations tendant à mettre en doute la culpabilité du capitaine, à mettre en cause un autre officier du nom d'Esterházy (d'ailleurs acquitté malgré les lourdes charges pesant contre lui), la fabrication d'un faux « patriotique » par le colonel Henry (qui se suicide), la publication du « J'accuse » de Zola dans le journal L'Aurore, la machine judiciaire se remet en marche. La France est, plus que jamais, coupée en deux. Les caricaturistes sont, eux aussi, divisés. Deux des plus célèbres, Forain et Caran d'Ache, entreprennent de publier un journal afin de défendre l'honneur de l'armée qui, pour eux, se confond avec celui de la France. « La révision, oui... 12 balles », telle est la légende d'un dessin de Caran d'Ache. On peut dire que Dreyfus lui-même est le grand absent de cette bataille qui ne met plus en jeu que des idées et des représentations. L'affaire joue le rôle de révélateur des positions politiques. Avant elle, tous les caricaturistes s'entendaient peu ou prou pour faire la critique de la société et de ses injustices. Pendant l'affaire, les ambiguïtés tombent peu à peu et chacun révèle ses arrière-pensées : Forain est monarchiste, Caran d'Ache retrouve en lui le militaire qu'il a été, Willette, antisémite affirmé avant tous les autres (il s'est présenté aux élections législatives de 1889 comme « candidat antisémite »), n'est pas loin d'eux. La position d'un Steinlen demeure équivoque dans la mesure où ses amis anarchistes et socialistes confondent les juifs et les puissances financières. Les dessinateurs de Psst... !, évidemment, jouent sur cette confusion. Ils en appellent à l'esprit des « braves gens », au « bon sens » contre les exploiteurs juifs. Caran d'Ache, en particulier, a souvent recours, dans ses dessins, à la présence d'ouvriers et de paysans pour fustiger les partisans de la révision, en assimilant cette dernière au favoritisme dont les « faibles » font toujours les frais. Pour accentuer le caractère populaire de ses charges, Caran d'Ache signe certaines d'entre elles « Caporal Poiré » (son véritable nom).

La justice, qui a accepté le principe de la révision, est fréquemment fustigée par Forain en première page. Un de ses dessins montre un juge donnant un coup de pied dans un képi.

Les attaques contre Zola sont particulièrement virulentes, d'autant plus que l'auteur de « J'accuse » est également le chef de file des écrivains naturalistes et que ses hardiesses sont volontiers tenues pour des « ordures » et des marques de décadence. Caran d'Ache le montre sortant de la lunette d'une fosse d'aisances avec cette légende : « La vérité sortant de son puits. » Les intellectuels admirateurs de l'auteur de Germinal sont représentés comme des êtres débiles, pourvus d'une abondante chevelure et accoutrés de tenues fantaisistes.

Quand, pour répondre au déferlement de haine de Forain et de Caran d'Ache, un groupe de caricaturistes, avec à leur tête Ibels, Couturier et Hermann-Paul, lanceront Le Sifflet, ils ne feront pas le poids face à des adversaires qui puisent leurs arguments dans la passion et non dans la raison. Le manque d'objectivité est paradoxalement la raison principale du caractère « convaincant » de Psst... !. Les arguments injustes et grossiers de Forain et de Caran d'Ache donnent à leurs œuvres des contours brutaux, séduisants pour le plus grand nombre. Les images qu'ils ont aidé à fixer et à cristalliser dans les psychismes survivent à toutes les évidences et ne demandent qu'à resurgir lorsqu'il est avantageux[...]

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  • FORAIN JEAN-LOUIS (1852-1931)

    • Écrit par et
    • 970 mots
    • 1 média

    Peintre, dessinateur, graveur, témoin de la Belle Époque comme de la Première Guerre mondiale, Jean-Louis Forain a connu une grande célébrité de son vivant. L'artiste, reconnu dès qu'il intègre la mouvance impressionniste, l'est plus encore par l'esprit caustique des dessins qu'il donne à une presse...