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PSYCHANALYSE

L'exil de Freud - crédits : Keystone/ Getty Images

L'exil de Freud

La psychanalyse n'aurait pas occupé la place qui lui revient, non seulement dans le progrès des disciplines médicales et des sciences humaines, mais dans le développement général de la civilisation, si la préoccupation la plus intime de Freud n'avait été, de toujours, celle de la souffrance. En témoignent, aux origines de sa carrière, ses recherches sur les stupéfiants ; et l'avènement même de la psychanalyse n'a pas eu raison de cet intérêt. « Une théorie de la sexualité, écrira-t-il dans l'analyse du cas Dora, ne pourra, je le suppose, se dispenser d'admettre l'action excitante de substances sexuelles déterminées. Ce sont les intoxications et les phénomènes dus à l'abstinence de certains toxiques chez les toxicomanes qui, parmi tous les tableaux cliniques que nous offre l'observation, se rapprochent le plus des vraies psychonévroses. » L'intérêt, donc, subsiste ; mais, dans sa finalité, radicalement retourné : il ne s'agit plus, avec la psychanalyse, d'endormir la souffrance, mais d'éveiller à sa vérité. La découverte de Freud est que cette vérité est celle du désir. Mais la manifestation de cette vérité porte des effets très divers sur les symptômes, sur la souffrance notamment, dont la méconnaissance se révèle cause. De là, le problème soulevé par la psychanalyse quant à ses fins spécifiques. Si la vérité agit, et si cette action peut avoir une efficience « curative », de tels effets ne nous engagent-ils pas à en restreindre la portée au domaine des disciplines médicales ? Mais comment expliquer, dans cette hypothèse, l'ampleur de ses incidences dans les domaines les plus étrangers à ces mêmes disciplines ? Peut-être observera-t-on que la difficulté ne saurait être formulée en ces termes spéculatifs, mais qu'elle doit être portée sur le terrain scientifique. S'il apparaît en principe plus aisé de se représenter l'action de la cocaïne que celle d'une intervention analytique, encore reste-t-il que la psychanalyse n'est pas seulement une pratique ; elle est un corps de doctrine empiriquement fondé, à l'intérieur duquel ont à se définir les critères même de la pratique. Mais c'est tenir pour acquis ce qui est en question.

À travers plusieurs décennies de recherches psychanalytiques, s'est en effet perpétué jusqu'à nous le sentiment d'inachèvement théorique, voire de malaise, dont Freud marquait, à l'adresse de Wilhelm Fliess le 5 mai 1900, son quarante-quatrième anniversaire. « Aucun critique, écrit-il, n'est mieux que moi capable de saisir clairement la disproportion qui existe entre les problèmes et la solution que je leur apporte. » Sans doute Freud se remet-il alors difficilement d'une grave crise intérieure ; la mésentente avec Fliess s'approfondit ; mais ces vicissitudes sont en vérité des moments intégrants de sa propre formation. Et nous ne pouvons douter qu'il ait consigné dans cette lettre bien autre chose que le témoignage épisodique d'une délectation morose. Nous sommes au lendemain, en effet, d'une découverte capitale : le 4 avril a été reconnu le « caractère asymptotique » – dans l'acception mathématique – « de la conclusion de la cure ». Freud, loin d'y voir une carence de l'analyse, se borne à espérer que son « succès pratique » n'en sera pas compromis, et il pousse même l'audace jusqu'à opposer sa propre indifférence, quant aux effets résiduels du transfert, à la déception que peut en avoir l'entourage du patient. Or, ce thème de la fin de l'analyse, qui commandera toute l'élaboration du concept de répétition et de la pulsion de mort avant d'émerger en sa position de butoir à la veille de la disparition de Freud, tout se passe comme si nous en retrouvions précisément[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre

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