PSYCHANALYSE DES ŒUVRES
La livraison inaugurale de la revue Imago, publiée par Freud en 1912 avec le concours d'Otto Rank et de Hanns Sachs, nous permet de situer avec précision le projet systématique d'une psychanalyse des œuvres. Dans la bibliographie établie par Sachs sont en effet distingués, parmi les applications de la psychanalyse aux sciences de la culture, le domaine de la biographie et celui de l' esthétique.
Du premier relèvent, outre Un souvenir d'enfance de Léonard de Vincide Freud (1908), huit publications en forme d'articles ou d'ouvrages, consacrées à Giovanni Segantini (Karl Abraham), au Problème de la mort à deux en relation au suicide de Heinrich von Kleist (Ernest Jones), au Complexe incestueux de Baudelaire et à la Confession de Wilhelm Busch (Otto Rank), à L'Affectivité du jeune Flaubert et à Flaubert amoureux (Theodor Reik), à La Vie amoureuse de Nicolas Lenau, à une Étude pathographique-psychologique de Konrad Ferdinand Meyer, et à une Étude analogue de Kleist (J. Sadger), enfin à L'Amour incestueux de Baudelaire (Wilhelm Stekel).
Du second, outre trois écrits de Freud (Le Mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient, 1905 ; Délire et rêves dans la Gradiva de Jensen, 1907 ; La Création littéraire et le rêve éveillé, 1908), treize publications, parmi lesquelles on pourra notamment relever : Anatole France analyste, par Sandor Ferenczi ; quatre études sur Richard Wagner et la production dramatique, Le Problème de la production dramatique, Richard Wagner dans « Le Hollandais volant », L'Atelier intime du musicien, par Max Graf ; La Psychanalyse dans la littérature moderne, de Christian V. Hartungen ; Le Problème de Hamlet et le complexe d'Œdipe, d'Ernest Jones ; les livres d'Otto Rank, L'Artiste, esquisse d'une psychologie sexuelle, et de Wilhelm Stekel, Poésie et névrose, matériaux pour une psychologie de l'artiste et de l'œuvre d'art ; de Fritz Wittels sur Les Motifs tragiques, le héros et l'héroïne ; ainsi que deux études d'auteurs russes, l'une de N. Ossipow, de Moscou, sur La Psychothérapie dans les œuvres littéraires de Léon Tolstoï, l'autre de Tatjana Rosenthal, de Saint-Pétersbourg, sur Karin Michaelis : « L'Âge dangereux » à la lumière de la psychanalyse. Freud mis à part, le premier en date de tous les travaux est celui de Max Graf sur Wagner (1906) ; les autres s'échelonnent entre 1907 et 1911.
L'année suivante, cependant, Freud apportait à ce premier bilan le commentaire d'un programme de recherches, et il le faisait en des termes qui laissent transparaître son souci d'une articulation étroite entre les deux domaines. « Les premières impressions d'enfance », écrit-il en évoquant l'intérêt de la psychanalyse au regard des sciences de l'art, « ainsi que les circonstances qui ont fixé la destinée (Lebenschicksal) de l'artiste, constituent dans leur relation aux œuvres, et en tant que celles-ci sont des réactions à ces événements, l'un des domaines les plus fascinants de la recherche psychanalytique. » Néanmoins « la plupart des problèmes concernant la création et la jouissance artistiques demeurent dans l'attente d'une élaboration propre à y projeter la lumière de la connaissance analytique et à fixer le lieu (Stelle) qu'occupent ces processus dans la structure des compensations de désir accessibles à l'humanité ».
La psychanalyse des œuvres est donc solidaire de l'investigation biographique, puisque l'œuvre est réaction aux accidents de la vie. Mais elle confine, d'un autre côté, à l'esthétique, et la nature même des problèmes sur lesquels, à ce titre, elle débouche, laisse pressentir la raison de cette affinité. Création et jouissance engagent en effet le désir en son rapport à la réalité, et l'on[...]
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Écrit par
- Pierre KAUFMANN : professeur honoraire de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre
Classification
Médias
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