PSYCHANALYSE DES ŒUVRES
Matrice signifiante de l'œuvre
Évoquons, par exemple, la détresse des choses et leur fraternité dans la peinture de Van Gogh. L'intelligence d'une telle qualité d'expression resterait assurément très pauvre, si l'on se bornait à y relever l'influence de l'esprit de charité du pasteur Van Gogh. Mais la correspondance du peintre autorise une recherche d'un type tout différent. Van Gogh peint le monde tel que son père l'a dit. C'est donc au cœur de cette parole paternelle que notre analyse devra se donner son centre de référence, c'est à travers les péripéties de l'écoute que lui a prêtée Van Gogh, jalonnées par l'abandon de sa vocation et par la mort du père, que nous pourrions reconstruire les phases de sa création. On comprendrait alors comment l'inhérence de l'artiste aux figures ancestrales peut trouver son équivalent dans la conformation de l'œuvre à un type original de création. Le père qu'évoque Van Gogh n'est pas investi au titre d'objet, il est source d'une visée signifiante. Et, bien entendu, en rapport à cette visée, auraient à se situer la mère et Théo, et le discours que Vincent lui adresse. Il sera donc équivalent de dire que Vincent Van Gogh s'est trouvé destiné à une certaine position dans une certaine constellation de sujets et que son œuvre s'est ordonnée aux puissances signifiantes que cette constellation supportait. Jusqu'où, dans cette histoire, pourrons-nous remonter ? C'est là cas d'espèce. Simplement ne faudrait-il pas ériger en un principe de méthode la carence de notre information, et de ce fait stériliser la recherche, une recherche à laquelle l'oreille tranchée de Vincent, brandie en holocauste à la prostituée, nous avertit assez que nous ne saurions tracer la limite dans le registre même des symptômes.
Car on devra s'y résoudre, la question posée à la vie, c'est la névrose qui bien souvent y donnera réponse. Comment admettre cependant que l'œuvre hérite en ce qu'elle a de vraiment singulier des traits monotones de la névrose, ou des formations caractérielles qui en tiendraient lieu ? Prenons en exemple l'étude consacrée par Alfred Winterstein à la Melancholia de Dürer, et dont la publication dans Imago en 1927 semblerait devoir garantir les titres. Sur le fondement des recherches historiques de Karl Giehlov, Erwin Panofsky et Fritz Saxl, l'auteur commence par ordonner son commentaire aux événements biographiques, mort de la mère quinze ans après celle du père, pour déboucher sur la fonction de l'analité dans l'économie cyclothymique de Dürer. Acceptons donc de verser au compte des résistances la gêne que ne manquera pas de ressentir devant ce type d'explication quiconque n'aura de la psychanalyse qu'une connaissance de seconde main. Encore reste-t-il que le changement de registre auquel nous sommes invités paraît exclure toute transition, de l'organisation psychique sous-jacente à l'œuvre, à l'œuvre effectivement donnée du graveur. Et le texte même de Winterstein, s'il n'aborde pas de front la difficulté, en suggère d'ailleurs les données.
« Il n'appartient qu'à Dieu, écrivait Dürer, de soumettre à la mesure la beauté absolue. » Sans nul doute la formule se prête immédiatement à une transcription en termes œdipiens. Mais le tout est de savoir si le conflit œdipien, et la forme particulière qu'il revêt, ne doivent pas être entendus de telle manière qu'ils rendent précisément possible l'expression qui en est offerte par la Melancholia de Dürer. Allons plus loin. Une œuvre d'art, une religion, une philosophie ne sauraient être comprises comme des psychonévroses réussies. Car, ainsi que Freud l'a souligné, c'est la psychonévrose qui doit être comprise[...]
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Écrit par
- Pierre KAUFMANN : professeur honoraire de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre
Classification
Médias
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