- 1. Le traitement des contraires dans le travail du rêve
- 2. Du sens opposé des mots primitifs
- 3. Principe de contraste et représentation indirecte
- 4. Les formes classiques du dualisme freudien
- 5. La polarité du jugement
- 6. Les couples opposés de pulsions partielles
- 7. Couples d'opposés et polarités dans la genèse du moi
- 8. De la psychanalyse du jeune enfant à Lacan
- 9. Bibliographie
PSYCHANALYSE & CONCEPT D'OPPOSITION
Du sens opposé des mots primitifs
Les conceptions d'Abel ont été très discutées, notamment en raison des exemples qu'il emprunte à l'égyptien ancien, ainsi qu'à d'autres langues et dont beaucoup apparaissent, au jour de la linguistique moderne, totalement controuvés (É. Benveniste, 1966). Cependant, même aujourd'hui, certains auteurs considèrent que la discussion n'est pas tout à fait close et accordent encore un certain crédit au noyau théorique essentiel des conceptions d'Abel, en dépit des exemples dont il les a, dans la plupart des cas, illustrées (J.-C. Milner, 1985). Freud mentionne, dans les conceptions d'Abel, deux idées, dont l'une est d'un intérêt cardinal, cependant que l'autre paraît beaucoup plus discutable. La première concerne le fait que les plus anciennes racines des langues historiques comporteraient un « double sens antithétique » (antithetischer Doppelsinn), une « opposition de sens » (Gegensinn der Urworte), dont l'un serait « exactement le contraire de l'autre ». Les langues primitives n'auraient « au début qu'un mot pour désigner les deux opposés d'une série de qualités ou d'actions », ainsi « fort-faible, vieux-jeune, proche-lointain, lié-séparé [...], dedans-dehors [...], clair-obscur, grand-petit [...], haut-bas ». Ultérieurement, « les deux faces de l' antithèse » se voient disjoindre par différentes modifications du mot primitif. En dehors de l'égyptien ancien, Freud emprunte à Abel certains exemples qui sont tirés de contextes linguistiques plus récents et dont il faut bien convenir qu'ils résistent dans une certaine mesure à la critique d'Émile Benveniste (altus : haut/profond ; sacer : sacré/maudit ; Boden : sol/plafond). Enfin, dans Totem et tabou, toujours en se référant à Abel, il invoque, comme autre exemple de ces « mots servant à exprimer deux notions opposées et ambivalentes », précisément le terme « tabou », dont il rend hommage aussi à Wilhelm Wundt d'avoir souligné le double sens (sacré et impur). Outre ce premier mécanisme concernant l'antithèse au niveau du signifié, Abel en décrit un autre qui suscite également l'intérêt de Freud, bien que sa pertinence linguistique n'apparaisse plus convaincante aujourd'hui. Il s'agit du procédé de la « métathèse » au niveau du signifiant, et éventuellement du signifié, qu'Abel décrit comme « un retournement aussi bien du son que du sens ». En égyptien ancien, et dans certaines langues plus récentes, parfois d'une langue à l'autre, le même mot présenterait, soit pour le même sens, soit pour des sens opposés, les sons rangés dans des ordres opposés (anglais hurry : se presser/allemand : Ruhe : repos).
Dans le texte intitulé « Des sens opposés dans les mots primitifs » (1910) ainsi que dans l'Introduction à la psychanalyse, Freud relève la parenté entre les deux procédés décrits par Abel – l'antithèse et la métathèse – avec les deux mécanismes utilisés par le travail du rêve dans le traitement des contraires : l'identification des opposés et l'inversion (Umkehrung) du matériel onirique. Il insiste aussi sur le fait que le premier, celui de l'antithèse, en tant qu'expression d'une forme d'incapacité originaire à séparer les antonymes, est la marque d'une sorte d'indétermination – on dirait aujourd'hui d'indécidabilité – caractéristique des modes de la pensée primitive. À ce titre, cette formule mentale entretiendrait un rapport direct avec « la singulière tendance que possède l'élaboration du rêve à faire abstraction de la négation ». Le propre de ces « significations primitives contradictoires », de ces « mots originaires à double sens » consiste justement dans la coexistence des opposés, au lieu de leur exclusion réciproque telle qu'elle[...]
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Écrit par
- Émile JALLEY : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur de psychologie et d'épistémologie à l'université de Paris-Nord
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