PSYCHANALYSE (théories et pratiques)
Les psychanalystes et la théorie
La relativisation de la théorie et du théorique, chez Freud et dans la discipline qu'il a inaugurée, est fondée sur une analyse de la pulsion épistémophilique, la pulsion de savoir (Wissenstrieb). L'origine de la théorie chez l'enfant est coextensive à l'activité des processus psychiques. Les « théories sexuelles infantiles » constituent la réponse à la question : « D'où viennent les enfants ? » – Woher die Kinder kommen ? – (« Les Théories sexuelles infantiles » [1908], in La Vie sexuelle, P.U.F., 1969). Il faut remarquer que l'interrogation fondamentale des enfants ne porte pas sur le « comment », mais sur « l'origine » des enfants, c'est-à-dire une question qui porte sur le fondement même de leur existence. Cette question du Woher est déjà celle que Freud pose à Elisabeth von R. lorsqu'il découvre une nouvelle forme d'hystérie, en recourant au même terme Woher : d'où proviennent vos pensées qui enchaînent, qui ligotent votre corps ?
Or ces élaborations théoriques, qui sont une façon de penser le corps, ont un point commun avec le délire, autre façon de penser le corps : elles contiennent « un fragment de pure vérité », de la vérité du sujet. Les inhibitions intellectuelles ultérieures du sujet dépendent de la possibilité qu'il aura ou non de poursuivre sa quête de savoir, de sexualiser la pensée ou d'en faire un processus autonome par rapport aux pulsions sexuelles. (« Les Recherches sexuelles infantiles », in Trois Essais sur la théorie sexuelle, Gallimard, 1987.)
Un savoir foncièrement casuistique
À la différence de la plupart des sciences, qu'elles soient exactes ou humaines, la psychanalyse se trouve inéluctablement liée aux découvertes de son fondateur. Les premières ne progressent que dans un oubli de leur origine, ainsi la cosmologie grecque relève-t-elle actuellement de l'histoire des sciences et non plus de l'astronomie. La psychanalyse, au contraire, coïncide, sans pouvoir s'en détacher totalement, avec les travaux et trouvailles propres de Freud. Guy Rosolato (« L'Ombilic et la relation d'inconnu », in La Relation d'inconnu, Gallimard, 1978) a insisté sur le développement progressif des découvertes de ce dernier « à travers son œuvre et sa vie imbriquées », qui peuvent être périodisées dans une nécessité « interne à son propre mouvement d'invention mais aussi perceptible dans l'évolution théorique et pratique d'une cure ».
Mais ce qui s'observe chez Freud se retrouve chez tous les psychanalystes. I1 n'y a pas en ce domaine un progrès vraiment fondamental qui annulerait les découvertes antérieures. L'effort de théorisation analytique inclut, chez tout psychanalyste confronté à l'écriture, une expérience à travers laquelle il vérifie s'il est apte à ne pas tomber dans un discours qui serait autonome par rapport à son travail. Dans cet effort, le praticien s'éprouve comme capable ou non de cette dénarcissisation relative qui le rend synchrone avec l'inconscient de l'analysant, de cette mobilité requise par Freud et qui s'obtient précisément par le refus de « spéculer ou ruminer mentalement » (« nicht zu spekulieren und zu grübeln ») [« Conseils aux médecins », in La Technique psychanalytique, P.U.F., 1970].
Les écrits et les démarches psychanalytiques font référence, schématiquement, à trois types de modèles. On peut distinguer, en premier lieu, des modèles qui privilégient l'appareil psychique et le mode de fonctionnement de l'activité psychique. C'est ce qu'on retrouve dans le monde anglo-saxon, en particulier chez Melanie Klein et Winnicott.
D'autres modèles mettent l'accent sur 1'« autonomisation » de la théorie au nom d'un certain idéal scientifique. Celui-ci[...]
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Écrit par
- Jacques SÉDAT : psychanalyste, membre d'Espace analytique, secrétaire général de l'Association internationale d'histoire de la psychanalyse
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Média