PSYCHIATRIE
Le terme psychiatrie semble attesté en français depuis 1842, formé par dérivation à partir du mot psychiatre, lui-même connu vers 1802 et emprunté aux langues germaniques. Il est à cette époque à peu près synonyme de pathologie mentale, mais ne s'y substitue que vers la fin du xixe siècle et désigne alors une branche particulière de la médecine, celle qui concerne cette partie de la « folie », dont la médecine estime pouvoir rendre compte, en y envisageant clinique, diagnostic et thérapeutique.
Toutes les cultures connues possèdent des représentations sociales de quelque chose comme la folie, représentations unitaires ou diversifiées, concernant ou non le merveilleux, en rapport ou non avec le divin et le diabolique.
Dans la tradition grecque fondée par Hippocrate, poursuivie à Alexandrie, puis dans l'Empire romain, la médecine se caractérise, de manière formelle, par la référence exclusive à la phusis (la nature), par le fait qu'il existe plus d'une entité morbide, qu'elle concerne les maladies et non le mal, qu'on doit, même dans les situations d'urgence, examiner le patient avant de le traiter et que la thérapeutique résulte du diagnostic, car nulle panacée ne se trouve justifiée, ni en théorie, ni en pratique. Pareils traits, purement formels, valent encore pour la médecine du xxie siècle.
Dès la période hellénistique et dans ses suites, plusieurs médecins et quelques philosophes précisent que, avec les effets des intoxications et de certaines affections fébriles sur la conscience et le comportement, ils possèdent un modèle adéquat de quelques aspects de la folie : ils peuvent ainsi prétendre légitimement que le savoir médical s'avère capable d'expliquer, d'une façon purement naturelle, et par analogie, au moins une partie de ce que la société entend par folie. C'est le fondement même de la psychiatrie et cette démarche se répétera à plusieurs reprises dans la suite de cette tradition médicale telle qu'elle se transmettra, grâce aux Byzantins, aux Juifs et aux Arabes, à travers le Moyen Âge et la Renaissance, jusqu'à l'âge classique, puis au siècle des Lumières, périodes qui préparent sa constitution en discipline autonome.
Après avoir rappelé l'enchaînement historique des moments majeurs de la psychiatrie, puis exposé le statut du psychiatre et les principes de la psychiatrie de secteur en France, le présent article conclura par une présentation de la nosographie et de l’épidémiologie des maladies mentales et de ses aspects transculturels.
Origines et évolution
Du siècle des Lumières au XXe siècle
Les conditions de la médicalisation
La prise en compte médicale de tout un ensemble de phénomènes, jusque-là dispersés entre la religion, la sorcellerie, la pratique de la « question préalable », les établissements de l'Hôtel-Dieu et de la Salpêtrière, date, indiscutablement, du dernier tiers du siècle des Lumières.
La société de Grand Siècle, puis de la Régence, s'était donné les moyens de mettre hors d'état de la gêner les déviants, les désadaptés, les mauvais sujets, les correctionnaires, les vérolés et les fous, grâce aux colonies de la Louisiane et surtout aux hôpitaux généraux (fondation de l'Hôpital général de Paris en 1656). S'y retrouvaient à la fois ceux dont on blâmait la conduite, ceux que, depuis Colbert, on n'osait plus brûler, ceux dont on ne savait que faire et ceux qui extravaguaient trop. Ce « grand renfermement » dont Michel Foucault faisait, dans sa thèse publiée en 1961, l'acte fondateur de la psychiatrie, n'est plus considéré aujourd'hui comme aussi décisif, en raison des progrès effectués par la recherche historiographique, notamment grâce aux travaux de Marcel Gauchet et de Gladys Swain, de sorte qu'il convient de prendre de pareilles réalités sociales[...]
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Écrit par
- Jean AYME : psychiatre honoraire des hôpitaux
- François CAROLI : psychiatre honoraire des hôpitaux, ancien chef de service, hôpital Sainte-Anne, Paris
- Chantal GUÉNIOT : docteur en médecine
- Georges LANTERI-LAURA : ancien directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, chef de service honoraire à l'hôpital Esquirol
- Frédéric ROUILLON : professeur de psychiatrie
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
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