PSYCHIATRIE
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La psychiatrie de secteur
L'idée d'une psychiatrie de service public qui fasse sortir le psychiatre et son équipe de l'hôpital psychiatrique et qui déplace l'intervention thérapeutique pour la rapprocher le plus possible du lieu d'existence des usagers est née après la Seconde Guerre mondiale. Mais sa mise en œuvre ne s'est étendue à l'ensemble de la France qu'au début des années 1970. Elle a consisté à propager une structure à laquelle on donne le nom de « secteur », structure qui, au demeurant, comporte des ambiguïtés. Certains psychiatres y voient, pour leur service hospitalier, une aire de recrutement plus limitée que l'échelon départemental prévu par le législateur de 1838. Pour d'autres, le secteur est l'ensemble des moyens techniques mis à la disposition d'une équipe soignante chargée d'une population. D'autres, enfin, le conçoivent comme un cadre démographique dans lequel le psychiatre et ses collaborateurs interviennent à la fois pour la thérapeutique et pour la prévention. La circulaire du ministère de la Santé du 14 mars 1990 en donne trois définitions. Chaque secteur psychiatrique est à la fois : une aire de planification des équipements publics et privés de lutte contre les maladies mentales ; un mode d'organisation et de fonctionnement du dispositif public de psychiatrie ; une aire de concertation et de coordination des actions mises en œuvre par l'ensemble des institutions et agents contribuant directement ou non aux programmes de santé mentale.
L'aspect technique de la « politique de secteur » consiste à confier à la même équipe soignante la prévention et les soins hospitaliers et ambulatoires d'un ensemble démographique qui ne doit pas dépasser 70 000 habitants. Le fait que cette équipe soit chargée de la totalité des besoins psychiatriques d'une telle population exige un dispositif horizontal fort différent de celui qui est en vigueur dans d'autres disciplines médicales, où les établissements de soins sont hiérarchisés en fonction de leur technicité et où l'intervention extra-hospitalière est l'affaire de la médecine libérale. Au-delà de l'aspect technique apparaît ainsi la dimension politique de ce dispositif qui propose des soins d'égale valeur pour tous.
Si la France a été le premier pays à instaurer ce système de santé mentale, cela tient sans doute à ce qu'elle possède un cadre unique de psychiatres de service public qui se sont orientés, après la Seconde Guerre mondiale, vers les techniques de groupe et qui ont adopté une conception dynamique de leur métier, dans laquelle la première référence théorique se trouvait être la psychanalyse. Ainsi, la psychothérapie institutionnelle transformait l'ancien asile d'aliénés, devenu hôpital psychiatrique, en instrument de soins, tandis que se multipliaient les activités extra-hospitalières.
Certains pays étrangers ont adopté des dispositions proches ou analogues. Le Canada s'est inspiré un temps du modèle français, mais l'étendue du territoire n'y rend pas les réalisations comparables. De plus, le dispositif urbain y est totalement étranger, les services hospitaliers ne gardant pas les malades en traitement au-delà de trois mois. L'expérience italienne se voulait plus radicale par la loi de 1978, promulguant « la psychiatrie dans le territoire » et fermant les hôpitaux psychiatriques. Mais l'hétérogénéité des structures et des groupes professionnels et surtout l'insuffisance des moyens financiers mis en œuvre n'ont permis que quelques réalisations exemplaires de « psychiatrie dans la communauté », véritable oasis dans un désert psychiatrique. Au Royaume-Uni, la psychiatrie communautaire, réactivée par le courant antipsychiatrique, fait également coexister des expériences remarquables avec une réduction drastique des lits d'hospitalisation, laissant un nombre croissant de malades à l'abandon. C'est cette dernière orientation qu'on observe aux États-Unis. En Allemagne, certains Länder se sont plus ou moins inspirés du modèle français ; la réalisation la plus proche est en Sarre.
Historique de la psychiatrie de secteur
Au sortir des années noires de l'occupation nazie, durant lesquelles 40 % des malades mentaux hospitalisés moururent de faim et de misère physiologique, les Journées psychiatriques nationales de 1945 et de 1947 donnèrent lieu à une grande effervescence (même sur le plan théorique, avec la création du groupe Batia, qui rappelait le Bourbaki des mathématiciens). Elles permirent d'élaborer une critique de « l' internement comme conduite primitive de la société » et le projet d'une « psychiatrie unitaire » qui postulait la continuité des soins, l'hospitalisation n'étant plus alors considérée que comme une des modalités de la prise en charge des malades. Mais il fallut attendre les travaux du groupe de Sèvres, créé à l'initiative de Georges Daumezon, pour qu'on en vînt à une élaboration théorique au sujet des institutions, puis le rapport d'Henri Duchêne au congrès de Tours, en 1959, pour que pût se dégager l'idée qu'une même équipe médico-sociale devrait prendre en charge l'ensemble des besoins psychiatriques d'une population, ce projet devant trouver un support juridique dans une réglementation nationale. C'est à cette époque que, à l'initiative de Philippe Paumelle et sous l'égide de l'Association de santé mentale et de lutte contre l'alcoolisme (ce qui permettait de faire bénéficier la psychiatrie des mesures législatives et financières prises par le gouvernement Mendès France), fut entreprise, dans le XIIIe arrondissement de Paris, une expérience qui se traduisit d'abord par la création d'institutions « légères » (hôpital de jour, hôpital de nuit, foyer de postcure, club pour le troisième âge, soins à domicile), puis par celle d'un hôpital pour des séjours à plein temps. Cette réalisation ne fut longtemps qu'une vitrine, l'idée de secteur psychiatrique ayant cessé de plaire aux pouvoirs publics.
Une circulaire ministérielle du 15 mars 1960, qui édictait les règles directrices de cette nouvelle psychiatrie, devait rester lettre morte pendant plus de dix ans : en effet, les directions départementales de l'action sanitaire et sociale (DDASS), qui remplaçaient et coiffaient désormais les anciens médecins-inspecteurs de la santé, ne recevaient aucune instruction, et les moyens financiers nécessaires n'avaient pas été dégagés. De plus, les fonctionnaires du ministère qui avaient été les promoteurs de cette orientation furent tous déplacés, et les psychiatres ne furent plus consultés : la commission des maladies mentales, section du Conseil permanent d'hygiène sociale, cessa de fonctionner.
Durant cette période, cependant, ont lieu quelques réalisations partielles à Rouen, Grenoble, La Roche-sur-Yon, Chambéry (où Pierre Lambert instaure la mixité dans son service), à Villejuif (avec Louis Le Guillant). À Paris, Henri Duchêne, psychiatre à plein temps, détaché auprès du préfet de la Seine, parvient à mettre sur pied un dispositif qui prépare une véritable politique de secteur : il propose le rattachement de chaque service hospitalier à une aire de recrutement. Mais les aires ainsi définies dépassent de très loin le niveau démographique de 66 666 habitants préconisé par la circulaire de 1960 ; de plus, à chacune d'elles correspondent deux services hospitaliers, un pour les hommes, un pour les femmes.
C'est aussi au cours de cette période que sont créées, grâce à des initiatives privées, des institutions de « séjour à temps partiel » pour répondre aux besoins de réinsertion sociale. Dans le domaine de l'enfance, la formule de l'internat médico-pédagogique (IMP), calquée sur celle de l'hôpital psychiatrique, est délaissée au profit de centres médico-psychopédagogiques (CMPP), qui assurent des prises en charge ambulatoires.
Mais ces créations, répondant à des besoins que semblent ignorer les pouvoirs publics, sont le fait d'associations régies par la loi de 1901 et qui ne se préoccupent pas, à quelques exceptions près, de les insérer dans le projet global d'une politique de secteur. On voit même une mutuelle, dont les membres sont de farouches défenseurs du service public, la Mutuelle de l'Éducation nationale, créer ses propres institutions, y compris un hôpital, le centre psychothérapique de La Verrière. La Mutuelle nationale des étudiants de France adopte la même attitude, et l'on peut craindre, alors, que toutes les mutuelles disposant de fonds importants n'en fassent autant.
À la suite de la manifestation du syndicat des psychiatres des hôpitaux devant le ministère de la Santé publique, le 29 octobre 1969, le ministre de l'époque, Robert Boulin, organise la sectorisation dans la région parisienne, ressuscite la commission des maladies mentales et donne, par les circulaires du 14 et 16 mars 1972, des instructions qui devaient relancer le mouvement. Le nouveau statut des psychiatres, adopté en 1970, allait par ailleurs contribuer à la création des secteurs : 99 % de ceux qui se classèrent dans ce qu'on appelle le « premier groupe » disposaient d'un service mixte et d'une équipe de secteur.
La circulaire du 9 mai 1974 définit les normes en personnel d'une équipe de secteur. Toutefois, les structures extra-hospitalières ne sont réalisables que pour autant que soient fermés des lits d'hospitalisation. La fin des années 1970 est marquée par les nouvelles orientations gouvernementales visant à réduire les dépenses de santé. Les Trente Glorieuses s'achèvent. Cette période aura cependant permis la mise en place de la politique de secteur, qui bénéficie d'un double financement : Sécurité sociale pour les structures gérées par l'hôpital et budget de l'État pour la prévention dont bénéficient les dispensaires et un certain nombre de structures extra-hospitalières.
Ce double financement est une source de difficultés sur le plan local. Quelques études sont mises en place pour le financement global par les régimes d'assurance maladie de toutes les activités de soins hospitalières et extra-hospitalières. Mais, sans attendre les conclusions des études en cours, le gouvernement adopte le projet du secrétaire d'État à la Santé, Edmond Hervé, d'un financement unique par les caisses d'assurance. La loi de finance du 31 décembre 1985 met à la charge des caisses les 2 milliards 700 millions de francs que versait l'État aux activités de secteur, en sus des 32 milliards versés pour les soins hospitaliers. C'est à l'hôpital de rattachement qu'est confié le soin de cette gestion globale, mettant ainsi fin aux espoirs de la création d'une structure spécifique, l'« établissement public de santé mentale », qui aurait marqué le décentrement de l'activité de secteur dans le tissu social, le service hospitalier ne constituant qu'un des éléments de la panoplie d'une équipe de secteur.
Cette loi financière fait suite à la loi du 25 juillet 1985 qui donne force légale à la sectorisation, dont le fonctionnement ne s'appuyait jusque-là que sur de simples circulaires. L'article L. 326 du code de la santé publique (qui n'était autre que l'article 1er de la loi du 30 juin 1838, faisant obligation à chaque département de créer un asile d'aliénés, devenu hôpital psychiatrique en 1938) confie au préfet le soin de déterminer les services de psychiatrie où seront hospitalisés aussi bien les malades en service libre que les malades soumis à la loi de 1838. Cette dernière loi disparaît avec la parution de la loi du 27 juin 1990 « relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation ».
La loi du 25 juillet 1985 définit également les trois types de secteurs qui constituent le nouveau dispositif de psychiatrie publique : secteur de psychiatrie générale, secteur de psychiatrie infanto-juvénile et secteur de psychiatrie médico-pénitentiaire (assurant soins et prévention de la population incarcérée). Le décret du 14 mars 1986 crée le Conseil départemental de santé mentale qui a la charge d'élaborer les plans d'organisation départementaux (POD).
Le secteur de psychiatrie générale
L'équipe de secteur se compose de médecins travaillant les uns à plein temps, les autres à temps partiel, d'infirmiers, de psychologues et de travailleurs sociaux. Si beaucoup de secteurs sont parvenus à enrichir leur palette de structures extrahospitalières, il en est encore qui ne disposent que d'un service hospitalier et d'un dispensaire pour constituer ce qui s'appelle, depuis la circulaire du 14 mars 1990, un centre médico-psychologique (CMP). Ce service assure des soins ambulatoires : consultations médicales, psychothérapies individuelles ou psychothérapies de groupes, accueil, activités collectives, animation et soins à domicile. Il est souvent le pivot de l'organisation du réseau de ce qu'on nommait les « structures intermédiaires ».
Le CMP est rattaché tantôt à ce qu'on désignait auparavant centre hospitalier spécialisé (CHS), tantôt à un centre hospitalier général. Si cette distinction d'appellation est désormais caduque, elle garde néanmoins matériellement sa pertinence, car les anciens centres hospitaliers généraux ont des moyens généralement plus limités en personnel soignant et en nombre de lits. On considère qu'un secteur n'a pas besoin de plus de cinquante lits pour assurer ses besoins en hospitalisation à plein temps. Certains secteurs fonctionnent d'ailleurs avec un nombre de lits plus limité, à condition de disposer de structures diversifiées implantées dans le tissu social.
Deux des principes fondateurs du secteur sont, d'une part, que le malade soit suivi au plus près de son lieu de vie, d'autre part, que la même équipe médico-sociale suive chaque malade en fonction de l'évolution de sa pathologie et de son aptitude à la resocialisation. Pour assurer cette mission de psychiatrie de proximité et de continuité des soins, chaque secteur doit disposer d'un réseau de lieux de soins, avec ou sans hébergement, dont la liste indicative figure dans l'arrêté du 14 mars 1986.
L'hôpital de jour est une structure autonome, dispensant des soins sur la trame de la vie quotidienne, généralement à l'exception des week-ends. L'hospitalisation de nuit fournit quant à elle un soutien thérapeutique en fin de journée pour des patients qui ont repris une activité professionnelle.
Les structures thérapeutiques d'hébergement comprennent les foyers de postcure, les placements familiaux thérapeutiques et les appartements thérapeutiques. Certains sont gérés par des associations. Ils prennent alors le nom d'appartements associatifs.
Les centres d'accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) proposent aux patients suivis en CMP ou hospitalisés diverses activités de groupe utilisant des techniques de médiation (dessin, peinture, modelage, etc.).
L'atelier thérapeutique a une visée de réentraînement au travail et accueille des patients susceptibles ensuite de s'intégrer dans un centre d'aide par le travail (CAT) ou de participer à un stage professionnel.
Pour répondre à l'urgence et éviter l'hospitalisation, des centres d'accueil permanents gardent les patients pendant quarante-huit heures et les orientent. Quant aux « centres de crise », ils traitent sur place les malades durant plusieurs jours.
L'équipe de secteur a également la charge d'interventions dans le milieu social, partout où s'exprime la souffrance psychique, en particulier les lieux de vie des personnes âgées. L'action menée dans les foyers et maisons de retraite a permis de réduire considérablement le nombre des vieillards présentant un déficit intellectuel qui, pendant longtemps, ont encombré les services de psychiatrie.
Ce travail, qui exige de la part des professionnels mobilité et disponibilité, a eu des résultats très positifs, puisque les quatre cinquièmes des patients sont suivis en traitement ambulatoire et que 60 % ne sont pas hospitalisés. Néanmoins, il existe une disparité notable entre les secteurs sur les moyens en équipement et en dotation de personnel. Il faut y ajouter des différences de charge démographique entre secteurs, variant de 50 000 à plus de 120 000 habitants.
Dans le champ de la psychiatrie infanto-juvénile, la disparité est encore plus apparente. Les moyens sont très inégalement répartis en ce qui concerne l'équipement de service public proprement dit. Outre la gestion de ces structures dont il a la charge directe (hôpital de jour, centre médico-psychologique, centre d'accueil, services hospitaliers quand il en existe), il joue un rôle coordonnateur des institutions privées assurant des besoins partiels (centre médico-psychologique, internat médico-pédagogique, externat médico-pédagogique, centre médico-professionnel, etc.) ; il assure également des liaisons, avec les divers services ou organismes s'occupant de l'enfance (Justice et éducation surveillée, Éducation nationale, Protection maternelle et infantile) et, plus précisément, avec les instituteurs, juges d'enfants, assistantes sociales, médecins généralistes, pédiatres, ainsi qu'avec les parents. Le secteur de psychiatrie infanto-juvénile correspond à une population pour laquelle on compte normalement trois secteurs de psychiatrie générale, soit 200 000 habitants environ. Il faut noter également l'extension prise par des structures à vocation spécifique : prise en charge des autistes, accueil des adolescents, services accueillant mère et enfant, centre de thérapie familiale, etc.
La prévention
L'efficacité des secteurs en matière de prévention s'est trouvée limitée par le poids des tâches thérapeutiques et par la lenteur avec laquelle les institutions locales, les responsables et la population s'ouvrent aux problèmes de la santé mentale. Longtemps, en effet, la conduite d'exclusion fut générale ; de plus, les règles prophylactiques en matière de maladie mentale mettent en question les habitudes individuelles et collectives. C'est pourquoi s'impose un travail d'information et d'éducation auprès des services sociaux, des médecins de famille, des services de police, des employeurs, des municipalités, à l'occasion des difficultés de voisinage ou d'emploi qu'éprouve telle ou telle personne. Ainsi, l'ambition d'une équipe de secteur serait non seulement de disposer de tout l'équipement nécessaire, mais de faire de toute la population du secteur l'auxiliaire de son action préventive et thérapeutique.
Bilan et perspectives
Depuis les années 1980, on peut considérer que la France s'est dotée d'un dispositif public de soins en santé mentale qui permet à tout citoyen de trouver au plus près de son lieu de vie une réponse possible à la souffrance psychique. En cela, il a rempli la mission que lui avaient assignée les « pères fondateurs » dans les années d'après guerre. C'est ainsi que les chiffres fournis par le ministère de la Santé en 1992 faisaient état de l'existence de plus de 900 secteurs de psychiatrie générale et de près de 300 secteurs de psychiatrie infanto-juvénile. Ce déplacement du centre d'activité des équipes psychiatriques dans le tissu social a permis une réduction du nombre de lits de psychiatrie publique, qui est passé de 120 000 en 1970 à 80 000 en 1990. De plus, dans les dix premières années de fonctionnement s'est produite une inversion du rapport entre les hospitalisations en service libre et les hospitalisations sous contrainte, qui sont passées de 80 % de celles-ci en 1970 à 20 % en 1980, pour légèrement augmenter dans les années 2000. Une étude de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé publiée en 2017 a objectivé cette augmentation des hospitalisations sous contrainte, de 2012 (21 %) à 2015 (24 %).
Mais il reste à doter les secteurs les moins favorisés des structures indispensables à un fonctionnement répondant à tous les temps de la trajectoire thérapeutique de chaque patient. Et ce travail est loin d'être achevé, alors que se développent des arguments et des projets qui visent au « dépassement du secteur » et demandent l'intégration de la psychiatrie dans le système général de santé. Or si la psychiatrie est une discipline médicale et que les psychiatres ont toujours exigé pour leurs malades, comme pour leur dispositif de soins, qu'ils soient traités à l'égal des autres, elle nécessite la préservation de sa spécificité.
En outre, l’offre de soins s’étant diversifiée, des structures complémentaires ont vu le jour pour des pathologies comme les troubles addictifs. De même, certains troubles nécessitant des soins très spécialisés qui ne pourraient être développés dans tous les secteurs, des services intersectoriels se sont implantés, souvent dans des centres hospitaliers universitaires (CHU). C’est le cas, par exemple, pour les troubles des conduites alimentaires. De même, des CHS ont mutualisé les moyens de plusieurs secteurs pour créer des équipes mobiles pour les patients précaires (SDF) ou pour les urgences psychiatriques à domicile. Un « maillage » sanitaire transversal de la politique de secteur s’est donc peu à peu imposé.
La psychiatrie est une médecine de la personne ; elle n'est pas une médecine d'organe ou d'appareil à laquelle une logique de banalisation risquerait de la réduire. Avec l'engouement pour les neurosciences, la psychiatrie est menacée de devenir une simple pathologie du cerveau, rendant caduc un dispositif de soins conçu pour une médecine du sujet pris dans sa dimension psychologique et sociale. L'offensive « sectoricide », qui est en même temps « psychiatricide »,
est déjà en marche : en 1984 disparaît l'internat de psychiatrie, en 1992, le diplôme d'infirmier de secteur psychiatrique. L'étude de la démographie médicale montre que de nombreux postes de psychiatres des hôpitaux sont vacants en France.
L'offensive s'appuie également sur les contraintes économiques qui remettent en avant cette volonté gestionnaire, sans cesse renaissante, de traiter différemment les malades aigus et les malades chroniques, dont l'instauration de la politique de secteurs nous avait préservés. Un schizophrène qui reste hospitalisé plus de trois mois est, pour la logique gestionnaire, un scandale. Un secrétaire d'État à la Santé a préconisé de placer les psychotiques chroniques dans des maisons d'accueil spécialisées (MAS) ou dans des foyers à double tarification, ce qui a conduit à recréer, de fait, le système asilaire.
La politique de secteurs est née d'un traumatisme de l'histoire et d'une volonté de rompre avec la ségrégation. Alors qu'il dispose à peine de fondements législatifs depuis le milieu des années 1980, il risque de disparaître, sous l'effet conjugué d'une banalisation de la psychiatrie et d'une logique de réduction des dépenses de santé, un dispositif de santé publique fondé sur les traditions républicaines assurant des soins d'égale valeur pour tous sans discrimination géographique, économique et nosographique.
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Écrit par
- Jean AYME : psychiatre honoraire des hôpitaux
- François CAROLI : psychiatre honoraire des hôpitaux, ancien chef de service, hôpital Sainte-Anne, Paris
- Chantal GUÉNIOT : docteur en médecine
- Georges LANTERI-LAURA : ancien directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, chef de service honoraire à l'hôpital Esquirol
- Frédéric ROUILLON : professeur de psychiatrie
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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