PSYCHIATRIE
Nosographie, épidémiologie et aspects transculturels
Nosographie des troubles mentaux
La nosographie des troubles mentaux, c'est-à-dire l'identification des signes cliniques et leur regroupement au sein d'une maladie définie a, de tout temps, posé de délicats problèmes d'interprétation, eux-mêmes souvent liés aux différentes représentations des troubles mentaux au sein des sociétés. De fait, la « définition du cas », prélude à la caractérisation diagnostique, représente un achoppement constant en psychiatrie.
Depuis les années 1970, la recherche nosographique s'est dotée d'instruments standardisés de diagnostic et de moyens informatisés qui permettent un meilleur recueil des données. Même si la subjectivité du clinicien n'est jamais totalement contrôlée, et que les classifications élaborées ne sont pas dénuées de tout particularisme d'école, les résultats des études épidémiologiques qui les utilisent sont devenus relativement homogènes depuis qu'elles ont recours aux systèmes critériologiques de diagnostic. Ce n’était pas le cas lorsque le consensus nosologique des chercheurs reposait sur la seule tradition clinique.
C’est dans les années 1950 que le besoin de disposer d'un outil permettant de rationaliser le diagnostic des troubles mentaux a poussé l'Association américaine de psychiatrie (APA, pour American Psychiatric Association) à lancer un vaste travail de conception d’une classification. Celui-ci a abouti à la publication du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders ; DSM). Le DSM-I (1952), puis le DSM-II (1968) ont été largement inspirés par les théories psychologiques et psychanalytiques. Le DSM-III (1980) a marqué une rupture en se proclamant « athéorique », c’est-à-dire détaché de toute référence à un modèle explicatif des maladies mentales. Toutefois, sous l'impulsion de son coordinateur, Robert Spitzer, il s'est adapté à la montée en puissance de la psychiatrie dite biologique. Il a adopté une classification plus standardisée des maladies psychiatriques, reposant sur des critères diagnostiques précis, descriptifs et avec une formulation proche du langage médical classique. Publié à un moment de reflux de la pensée psychanalytique aux États-Unis, le DSM-III est rapidement devenu un outil de référence internationale pour le diagnostic des maladies mentales. L’ICD-10, ou CIM-10 (10e édition de la Classification internationale des maladies, 1992), de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’en est d’ailleurs largement inspiré. Les psychiatres du monde entier se réfèrent désormais au DSM, avec parfois cependant certaines réserves, comme ce fut le cas en France où il fut longtemps perçu comme un vecteur de l’impérialisme culturel nord-américain.
Plusieurs éditions du DSM se sont succédé. Si elles ont toujours été l'occasion de controverses à partir du DSM-III, aucune n'a suscité autant de réactions que la première ébauche du DSM-5 (2013). Pour la première fois, celle-ci a été mise en ligne sur Internet et ouverte aux critiques et suggestions. Elle a notamment déclenché une pétition initiée par une branche de l’APA qui a reçu plus de 14 000 signatures. Ce mouvement, hostile au DSM-5, dénonçait l'adoption de critères plus larges pour le diagnostic de certaines maladies mentales, ce qui avait pour effet d’intégrer dans le domaine de la pathologie des personnes qui n’étaient pas considérées, jusque-là, comme malades. Face aux critiques, plusieurs nouveaux diagnostics ont été relégués à l'appendice du DSM-5 et qualifiés de « troubles encore insuffisamment explorés ». C'est le cas du syndrome de psychose atténuée, proposé pour des études supplémentaires (DSM-5, section III). Des explications ont été ajoutées. Ainsi, une note précise les critères nécessaires pour conclure à une dépression[...]
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Écrit par
- Jean AYME : psychiatre honoraire des hôpitaux
- François CAROLI : psychiatre honoraire des hôpitaux, ancien chef de service, hôpital Sainte-Anne, Paris
- Chantal GUÉNIOT : docteur en médecine
- Georges LANTERI-LAURA : ancien directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, chef de service honoraire à l'hôpital Esquirol
- Frédéric ROUILLON : professeur de psychiatrie
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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