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PSYCHOLOGIE COGNITIVE

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Toutes les disciplines scientifiques rencontrent à un moment ou un autre la nécessité de qualifier leur dénomination par des épithètes qui spécifient un champ, un sous-domaine ou une orientation particulière en leur sein. Ainsi en va-t-il de la psychologie. S'il n'est pas question ici de recenser les désignations qualifiant tous les champs ou toutes les branches de la discipline, il est pertinent, en tout cas, de cerner les raisons qui ont présidé à l'apparition de cette appellation particulière qu’est la « psychologie cognitive », dans le vaste territoire de la psychologie.

Les premiers signes de l'émergence d'un champ destiné à constituer la psychologie cognitive se situent dans les années 1950, probablement vers la fin de cette décennie. Cette nécessité semble s'être imposée au sein de la discipline pour désigner commodément la partie de celle-ci dévolue à l'étude des processus par lesquels l'esprit humain exerce les fonctions dites « supérieures », comme la compréhension du langage, le raisonnement, la résolution de problèmes.

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Par cette désignation, un champ d'intérêt se trouvait délimité, et surtout les psychologues marquaient le contraste entre ce champ et celui concerné par les processus affectifs, émotionnels ou motivationnels. L'idée n'était sans doute pas de suggérer que ces deux champs étaient irréductiblement imperméables l'un à l'autre, mais qu'assurément ils pouvaient, devaient ou méritaient d'être examinés par des regards distincts. Cette distinction, dans ses formes les plus rigides, a été dépassée entre-temps, et il existe de nos jours, on le verra, une psychologie qui a pour ambition de rendre compte des processus affectifs au sein même des modélisations d'inspiration cognitive.

La psychologie cognitive est un domaine marqué par la régulière expansion de son territoire au long des décennies. Ainsi, alors qu'à son émergence elle avait tendance à couvrir ce qu'il était convenu d'appeler les « fonctions intellectuelles supérieures » et à ne pas inclure dans son champ l'étude des processus sensoriels, la psychologie cognitive s'est progressivement annexé toutes les étapes par lesquelles l'esprit humain traite l'information, depuis la prise d'information sensorielle – en passant par la construction des événements perceptifs et leur mise en mémoire –, jusqu'à leur récupération et leur utilisation dans des activités finalisées comme le raisonnement. Le programme de la psychologie cognitive s'est également étendu par le développement d'hypothèses sur la notion d’« architecture cognitive » et sur les niveaux hiérarchisés d'intégration que cette architecture implique.

Le trait commun de tous les travaux inscrits sous la désignation de psychologie cognitive est de relever de ce que l'on qualifie comme une psychologie « à visée scientifique » (pour reprendre une autre division classique, celle qui oppose cette dernière branche à une psychologie plutôt guidée par l'approche clinique, axée sur l’examen des cas individuels). L'édification d'une connaissance basée sur l'administration de la preuve s'appuie sur un ensemble de méthodes qui permettent de collecter des faits empiriques destinés à venir à l'appui de conjectures. La psychologie fait appel à la méthode expérimentale et à la démarche hypothético-déductive, hautement spécifique d'une discipline qui fait face à un redoutable défi : être en mesure de parler de processus internes et de représentations mentales, qui sont autant d'entités postulées et non directement observables, tout en s'appuyant sur les seuls observables disponibles, à savoir les comportements. Ce programme de recherche a été soutenu au long des décennies par un ensemble de techniques et de paradigmes, au nombre desquels la méthode chronométrique, dans ses nombreuses variantes, a permis de rendre compte avec finesse des processus engagés dans le fonctionnement cognitif.

Le cognitivisme, cadre conceptuel précurseur

La naissance de la psychologie cognitive, au cœur du xxe siècle, résulte, dans une étape initiale, de la coalescence d'un certain nombre de courants qui ont participé, chacun à sa manière, à l'approche globale qui a été caractérisée comme le « cognitivisme ». Ce nouveau concept a précédé la reconnaissance du domaine disciplinaire qui devait par la suite être désigné comme celui de la « psychologie cognitive », et son émergence s'est produite de façon simultanée dans des contextes de recherche assez divers.

L'extinction progressive du postulat behavioriste, surtout dans ses formes radicales, a été corrélative de la montée en puissance de plusieurs courants, au premier rang desquels les conceptions popularisées par Jean Piaget et Jerome Bruner. Ces conceptions avaient en commun de s'inscrire dans un cadre privilégiant l'étude du développement cognitif de l'individu. Le programme était ambitieux, visant à rendre compte des mécanismes par lesquels l'esprit humain élabore des connaissances et appuie sur celles-ci l'activité de pensée et de raisonnement.

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L'étude de la cognition, dans la conception piagétienne, allait d'ailleurs au-delà de l'analyse de la construction de l'intelligence au cours du développement de l'enfant, pour inclure les mécanismes d'élaboration de la connaissance scientifique. Une idée majeure était celle du caractère actif et constructif des processus d'acquisition des connaissances. Dans cette approche, les représentations, par exemple les images mentales, n'étaient plus conçues comme les « copies dormantes » d'expériences sensorielles passées, mais comme les produits d'une activité symbolique. Cette conception est inhérente à toutes les variantes de ce qui émergeait alors comme le courant « cognitiviste » de la psychologie.

Dans la même période sont apparues, dans l'étude du comportement animal, et principalement de l'apprentissage instrumental, des conceptions faisant une grande place aux notions d'intention, d'attente, d'hypothèses, à rebours des théories plus anciennes invoquant uniquement le mécanisme traditionnel des essais et erreurs dans la création de connexions entre stimulus et réponses. Dans un langage devenu entre-temps parfaitement acceptable, des chercheurs introduisaient alors la notion audacieuse de « représentation » comme contrepartie interne – et mécanisme explicatif – des comportements. En bref, l'idée qui commençait à s'imposer était celle de l'existence, chez l'animal, de processus cognitifs analysables dans les mêmes termes que ceux postulés chez l'humain. Particulièrement remarquable fut à cette époque l'apparition de la notion de « carte cognitive », proposée par le psychologue américain Edward Tolman, comme facteur explicatif des conduites spatiales adaptatives, ainsi que la démonstration des capacités de résolution de problèmes chez des espèces non humaines, attestant d'une forme authentique d'intelligence animale.

Un troisième domaine qui a offert l'occasion d'assister à l'émergence de concepts cognitivistes est celui de la psychologie sociale, elle aussi donnant une place importante à la notion de représentation. En rupture avec une conception rendant essentiellement compte du comportement humain par l'effet de l'environnement (y compris l'environnement social) sur le psychisme humain, l'idée introduite était celle de l'impact, sur les conduites, des représentations que l'individu se fait des situations qu'il rencontre. En somme, le comportement (dont le comportement social) était reconnu comme étant régulé par des déterminants internes. Cette approche, défendue alors par Kurt Lewin et Leon Festinger, est à l'origine de l'émergence et de la reconnaissance d'un champ autonomisé par la suite, celui de la « cognition sociale ». C'est sur ces références fondatrices que, par la suite, la psychologie sociale cognitive s'est engagée dans la démonstration de la sensibilité de la performance cognitive au contexte social dans lequel celle-ci est exécutée.

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Les avancées réalisées dans ces trois domaines ont constitué autant de préfigurations de l'installation du concept de « cognition » au cœur de la psychologie à partir des années 1960. La psychologie affichait en effet de façon explicite son intérêt pour la manière dont les mécanismes de la mémoire permettent d'inscrire dans l'esprit humain – et de les y maintenir disponibles pour des utilisations ultérieures – des contenus mentaux ayant le statut de connaissances, et plus généralement de représentations. À travers son passé encore récent consacré à l'étude expérimentale des processus d'apprentissage, la psychologie était bien armée pour saisir les manifestations comportementales de ces entités mentales. Elle pouvait alors assurer la transition entre les différentes illustrations d'une « psychologie cognitiviste » et ce qui allait devenir « la psychologie cognitive ».

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