PSYCHOLOGIE DE LA RELIGION
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Développements théoriques
Depuis lors, la psychologie de la religion s’est développée et diversifiée tout au long du xxe siècle et au début du xxie siècle en suivant, outre des théories et des mesures propres au domaine, les développements théoriques et les approches méthodologiques des autres disciplines psychologiques de base : psychologie de la personnalité, sociale, interculturelle, évolutionniste, développementale, éducationnelle, clinique, de la santé, cognitive, ainsi que neurosciences et génétique du comportement.
Plusieurs théories provenant de ces disciplines ont été appliquées de manière fructueuse pour étudier les aspects cognitifs, émotionnels, motivationnels, attitudinaux, relationnels, sociaux, moraux, culturels, neurophysiologiques, biologiques et génétiques de l’expérience religieuse. Il est impossible de les présenter toutes ici. Toutefois, il est important de mentionner quelques théories qui ont nourri un corps particulièrement important de travaux empiriques conduisant le plus souvent à des résultats convergents.
Dans le domaine du développement religieux et spirituel, beaucoup de travaux se sont focalisés sur les conséquences des changements développementaux pour les croyances, attitudes et pratiques religieuses, ou, à l’inverse, sur le rôle que la religion joue pour faciliter ou entraver le développement humain, notamment sur les plans cognitif, émotionnel, moral et social. Les théories du développement humain en termes de stades, telles la théorie du développement psychosocial d’Erikson, les théories du développement cognitif ou encore la théorie du développement moral de Kohlberg, ont eu un impact important sur ces travaux. Plus récemment, la théorie de l’esprit, relative aux capacités qu’a l’enfant d’attribuer des états mentaux aux autres, a été utilisée afin de comprendre comment l’enfant endosse des croyances à l’égard des agents surnaturels. Enfin, la théorie de l’attachement a été largement utilisée pour comprendre les influences réciproques entre, d’une part, le type et la qualité de la relation aux parents ou d’autres figures d’attachement (par exemple, le partenaire adulte) et, d’autre part, la foi, la pratique religieuse et l’attachement à Dieu.
Les approches s’inspirant de la psychologie de la personnalité ont été utiles pour comprendre les différences individuelles entre croyants et non-croyants. Certaines dispositions au niveau de la personnalité peuvent ainsi expliquer pourquoi, ayant reçu la même éducation, les gens néanmoins divergent sur leur manière d’exprimer leur foi (du questionnement autoréflexif jusqu’au fondamentalisme) ou non-foi (de l’agnosticisme empathique à l’athéisme militant). De même, la personnalité est sous-jacente à des choix vocationnels et professionnels spécifiques : devenir prêtre ou moine, se convertir, changer de religion, ou entrer dans une secte. Parmi les modèles et théories de personnalité dominants, celui de Eysenck et celui dit du « Big Five » (modèles taxinomiques et hiérarchiques de plusieurs dizaines de traits de personnalité) ont été d’une grande utilité. Il en va de même des théories interactionnistes qui, en examinant les relations entre les prédispositions génétiques et les influences environnementales, ont permis de faire avancer la compréhension de parcours différents sur le plan religieux tout au long de la vie de l’individu.
En psychologie clinique de la religion, la théorie du coping, à savoir des stratégies utilisées pour faire face aux différents types de stress, de manière adaptative ou non, ainsi que des théories plus spécifiques relatives au sens de la vie, au concept du soi, au contrôle de soi, à la régulation émotionnelle et au support social, ont été largement utilisées dans plusieurs centaines de travaux empiriques. Ces travaux ont examiné les liens complexes entre, d’une part, des formes spécifiques de religion et de spiritualité, et, d’autre part, des composantes du bien-être subjectif, de la santé physique et mentale ou de la souffrance psychique et de la psychopathologie.
En psychologie sociale de la religion, de nombreuses recherches ont adopté les théories explicatives des préjugés et de la discrimination, la théorie dite de « la justification du système », ainsi que les théories classiques de l’identité sociale et de l’autocatégorisation. Ces cadres théoriques ont permis d’étudier le rôle de la religion par rapport aux différentes sortes d’identités collectives, y compris chez les personnes immigrées, ainsi que par rapport aux relations intergroupes, aux préjugés, aux stéréotypes et à la discrimination des exo-groupes religieux, ethniques ou moraux comme les homosexuels. D’autres théories explicatives des processus impliqués dans le comportement prosocial ont nourri plusieurs travaux sur la prosocialité religieuse – qui s’avère en fait bien existante, mais limitée, conditionnelle et pas nécessairement altruiste dans sa motivation. À partir des années 2010, la théorie de la gestion de la terreur existentielle (TerrorManagement Theory) a permis d’étudier l’impact de la perspective de la mortalité personnelle sur les croyances religieuses. Activer en laboratoire la perspective qu’on va un jour mourir augmente la foi en des dieux, parfois même ceux des autres religions. Et d’autres études montrent que les très croyants sont « immunisés » devant d’autres conséquences de ce petit rappel de mortalité.
Enfin, un nombre important de théories provenant des différents champs de la psychologie cognitive et des neurosciences ont typiquement intéressé les chercheurs pour étudier les attributions et les expériences religieuses. Par exemple, certains événements (surtout ceux personnels et qui touchent le moi), vécus dans certains contextes (plutôt lorsque des explications naturalistes font défaut), et ayant des fonctions spécifiques (sens, ordre, justice immanente), risquent plus d’être interprétés de manière religieuse. Des mécanismes neurophysiologiques sont également sous-jacents à la conviction religieuse. Celle-ci semble marquée par une réactivité réduite du cortex cingulaire antérieur, système impliqué dans la régulation de l’anxiété. Dans les années 2010, des théories provenant de la psychologie évolutionniste, en interaction avec le courant interdisciplinaire dit des « sciences cognitives de la religion », s’avèrent utiles pour analyser les mécaniques sous-jacentes aux différentes croyances religieuses spécifiques (agents surnaturels, vie après la mort, paradis et enfer, résurrection, réincarnation, miracles) en lien avec d’autres types de croyance et de biais cognitifs communs ainsi qu’en fonction de leur utilité éventuelle pour des buts adaptatifs de l’espèce humaine.
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Écrit par
- Vassilis SAROGLOU : professeur ordinaire, université catholique de Louvain (Belgique), responsable du Centre de psychologie de la religion
Classification
Autres références
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RELIGION - Religion et psychanalyse
- Écrit par Antoine VERGOTE
- 3 732 mots
- 1 média
...lois psychologiques dégagées par Freud sont également repérables au niveau de l'observation, même si l'inconscient n'y est pas directement vérifiable. La psychologie de la religion se trouve ainsi dotée de principes d'interprétation et d'organisation. En second lieu, Freud a démontré l'existence d'un lien...
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