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PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS

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L’utilisation du terme « émotion » dans son acception actuelle n’a été préférée à « passion », « affection » ou « sentiment » que depuis deux siècles ; cependant, les études historiques suggèrent que l’analyse des émotions en tant que phénomènes psychologiques, corporels et sociaux date au moins de l’Antiquité. Des penseurs tels qu’Aristote, René Descartes ou Charles Darwin ont largement contribué à enraciner d’importantes problématiques émotionnelles au sein de nombreux champs de la connaissance. Grâce à ces fondements et aux développements récents de la psychologie, de la philosophie de l’esprit, des neurosciences, de l’informatique et, plus largement, des disciplines formant les sciences cognitives et affectives, l’étude de l’émotion s’est fortement développée au xxe siècle. Les questions ayant guidé les études conceptuelles et empiriques sont nombreuses : comment nos émotions sont-elles déclenchées, exprimées et régulées ? Comment les mesurer ? Quelles sont leurs fonctions ? À quel point sont-elles partagées avec les autres animaux ? Comment se développent-elles au cours de la vie ? Comment sont-elles représentées dans le cerveau et dans le reste du corps ? S’opposent-elles à la raison ? Sont-elles un moteur de l’action ? Comment caractériser les troubles émotionnels et leurs liens avec des psychopathologies telles que la dépression, l’anxiété ou encore l’autisme ?

<em>La Couleur des émotions</em> d’Anna Llenas - crédits : Éditions Quatre Fleuves

La Couleur des émotions d’Anna Llenas

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Cette synthèse expose les conceptions principales portant sur la nature de l’émotion et ses fonctions. Nous présenterons donc les principales définitions et classifications de l’émotion, puis aborderons les composantes de celle-ci et leurs mesures, en considérant les grands courants théoriques la concernant. Enfin, nous nous intéresserons à la question de la régulation des émotions et des effets positifs de l’émotion sur de nombreux mécanismes cognitifs tels que l’attention, la mémoire et la prise de décision.

Qu’est-ce qu’une émotion ?

En définissant les émotions, ou pathê, comme « tous ces sentiments qui changent l’homme en l’entraînant à modifier son jugement et qui sont accompagnés par la souffrance ou le plaisir » (Rhétorique, livre II, chap. 1, 1378a), Aristote formule ce que l’on considère comme l’une des premières définitions des émotions. Depuis, un grand nombre de définitions ont été proposées et été classées en dix catégories :

– affectives (accent sur la perception d’activation physiologique et (ou) la valeur hédonique) ;

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– cognitives (accent sur l’évaluation cognitive et (ou) les processus de labellisation) ;

– situationnelles (accent sur les situations susceptibles de déclencher l’émotion) ;

– physiologiques (accent sur les mécanismes physiques internes de l’émotion) ;

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– comportementales (accent sur les réponses émotionnelles observables de l’extérieur) ;

– axées sur les effets perturbateurs (accent sur les effets dysfonctionnels de l’émotion) ;

– adaptatives (accent sur les effets organisateurs ou fonctionnels de l’émotion) ;

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– multicomponentielles (accent sur les diverses composantes interconnectées de l’émotion) ;

– restrictives (différenciant l’émotion d’autres processus psychologiques) ;

– motivationnelles (accent sur la relation entre émotion et motivation).

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Aucune taxonomie exhaustive de l’émotion n’a recueilli de consensus, mais certaines catégories sont toutefois très utilisées dans la littérature scientifique. Ces taxonomies s’appuient sur divers critères, et les catégories se chevauchent souvent, car une émotion donnée (par ex. la peur) appartient à plusieurs catégories à la fois. Ainsi, les émotions sont souvent catégorisées en fonction de leur valence : une émotion est dite positive si « le ressenti est agréable » ou négative si « le ressenti est désagréable ». Selon certains chercheurs, un individu pourrait ressentir une émotion qui est à la fois positive et négative. L’argument pour l’existence de tels ressentis vient de l’existence d’événements ambivalents : des actions (comme celles de fumer une cigarette ou d’entretenir une relation extraconjugale) peuvent être évaluées positivement sous l’angle du plaisir obtenu, mais également négativement, car ils interfèrent avec la santé ou le jugement moral. Il a été proposé que les émotions « d’approche », telles que la fierté et la joie, apparaissent dans un contexte de mouvement dirigé vers un but désiré, alors que les émotions « d’évitement », telles que la peur ou le dégoût, apparaissent lors de la confrontation à une stimulation aversive. Les émotions « de base » (colère, dégoût, peur, joie, tristesse, surprise…) seraient universelles et aisément reconnaissables grâce à des expressions spécifiques. Les émotions « réflexives » (ou autoconscientes), comme la honte, l’embarras, la culpabilité ou la fierté, se démarquent des autres émotions, car leur objet est l’individu lui-même plutôt qu’un événement. Les émotions « esthétiques » sont typiquement déclenchées par la perception d’œuvres d’art ou de spectacles de la nature qui possèdent des valeurs produisant, par exemple, un ressenti de sublime ou de fascination. Les émotions peuvent être dites « fictionnelles » quand elles sont déclenchées par le contenu des œuvres de fiction, comme la littérature ou le cinéma ; elles sont parfois qualifiées de « quasi-émotions » parce que l’individu sait pertinemment que l’événement déclencheur est imaginaire. Les émotions « contre-factuelles », telles que le regret ou la déception, sont suscitées par un raisonnement reposant sur ce qui aurait pu advenir, par exemple si l’on avait agi différemment. Les émotions « sociales », comme la honte, la gêne, l’envie, la jalousie, l’admiration, la culpabilité, la gratitude et la pitié, sont typiquement déclenchées par des situations sociales, lorsque d’autres agents humains sont présents ou imaginés. Les émotions « morales » sont des émotions suscitées par des évaluations morales, dont Jonathan Haidt a décrit quatre types : les émotions « autoconscientes » (comme la honte et la culpabilité) ; les émotions « de condamnation d’autrui » (comme le mépris, la colère, et le dégoût) ; les émotions « en réaction à la souffrance d’autrui » (comme la compassion) ; les émotions « de louange d’autrui » (comme la gratitude et l’admiration). Les émotions « épistémiques » (ou « de connaissance »), comme l’intérêt, la confusion, la surprise ou l’admiration, sont étroitement associées à la connaissance et considérées comme facilitant l’exploration et l’apprentissage. Ces catégories ne sont donc pas mutuellement exclusives : la colère, par exemple, est décrite comme une émotion typiquement basique, négative, orientée vers l’approche, souvent sociale, et parfois morale.

Malgré la variété de ces catégories, un consensus minimal existe sur la définition de l’émotion, qui considère au moins quatre critères clés.

– Les émotions sont des phénomènes à multiples composantes. Considérées dans leur ensemble, les théories les plus influentes postulent l’existence de cinq composantes de l’émotion : l’évaluation cognitive (par ex. interpréter une phrase comme un compliment) ; l’expression (par ex. faire un sourire) ; la réponse périphérique (par ex. avoir une augmentation de sa fréquence cardiaque) ; la tendance à l’action (par ex. vouloir s’approcher de la personne qui nous complimente) ; et le ressenti ou sentiment subjectif (par ex. ressentir de la joie). Notons que le terme anglais feeling est traduit dans cet article indistinctement par « ressenti » ou « sentiment » qui sont deux traductions utilisées dans la littérature en français.

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– Les émotions sont des processus en deux étapes impliquant un mécanisme de déclenchement qui produit une réponse. Typiquement, la composante d’évaluation cognitive (appraisal) est considérée comme responsable du déclenchement, alors que les autres composantes constituent la réponse.

– Les émotions sont déclenchées par des objets pertinents. Toutes les traditions de recherche sur les émotions soulignent le lien entre émotions et pertinence (aussi appelée signification ou importance dans un sens plus large) de la situation déclenchante. Nico Frijda, par exemple, considère que les émotions sont suscitées par des événements qui sont pertinents, car ils touchent aux préoccupations majeures de l’individu.

– Les émotions sont de courte durée en comparaison des autres phénomènes affectifs. Elles sont typiquement considérées correspondre à de brefs épisodes, au contraire des humeurs, des préférences ou des dispositions émotionnelles.

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En conclusion, une définition consensuelle peut être proposée : l’émotion est un processus rapide, focalisé sur un événement et constitué de deux étapes. La première est un mécanisme de déclenchement fondé sur la pertinence de l’événement qui façonne la seconde étape. Cette seconde étape est une réponse constituée de plusieurs composantes (les tendances à l’action, les réactions du système nerveux autonome, l’expression et le sentiment). Sur la base de cette définition, il est maintenant possible de nous intéresser aux composantes de l’émotion, à leur mesure et aux théories principales de l’émotion.

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Genève, directeur du Centre interfacultaire en sciences affectives, Genève (Suisse)

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<em>La Couleur des émotions</em> d’Anna Llenas - crédits : Éditions Quatre Fleuves

La Couleur des émotions d’Anna Llenas

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