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PSYCHOLOGIE DU LANGAGE ORAL

À chaque étape son défi

La variabilité

Aucune des étapes de traitement exposées ci-dessus ne va de soi. De nombreux problèmes se posent au locuteur qui planifie une séquence de parole et à l’auditeur qui tente de la décoder. Tout d’abord, les caractéristiques physiques du signal de parole n’entretiennent pas de lien univoque avec les unités linguistiques. Chaque locuteur produit un signal acoustique différent. Par exemple, les pics d’énergie dans certaines gammes de fréquences (« formants » des voyelles) qui permettent de distinguer les voyelles entre elles, diffèrent d’un locuteur à l’autre (un /a/ produit par un homme diffère acoustiquement d’un /a/ produit par un enfant). L’auditeur peut donc difficilement se baser sur les valeurs absolues de ces formants pour identifier les voyelles. Par ailleurs, pour produire des sons de parole, le locuteur doit anticiper les mouvements articulatoires d’un phonème alors qu’il est en train d’articuler celui qui précède. Le phonème /k/ sera donc différent s’il précède la voyelle /i/ ou la voyelle /u/. Cette absence d’invariance n’affecte pourtant pas notre capacité à abstraire des catégories. Une des solutions envisagées pour compenser la variabilité entre locuteurs est que les auditeurs mettent en place un processus de normalisation du conduit vocal. La normalisation permettrait de se focaliser sur des représentations abstraites « canoniques » et non sur les formes de surface « variables ». Certains chercheurs considèrent que l’invariance réside dans le geste articulatoire que les locuteurs produisent. La récupération de la trace de ces gestes articulatoires dans un signal de parole variable permettrait alors aux auditeurs de retrouver le message voulu (voir les travaux de C. Fowler). Cette théorie a trouvé un appui dans la découverte du fait que des neurones dévolus à l’action, déchargent lors de la perception de l’action (« neurones miroir ») ; perception et action semblent donc étroitement liées.

Il existe aussi des variations phonologiques qui obéissent à des règles. En situation de conversation, certains phonèmes ne sont pas prononcés ou bien transformés (« sens dessus dessous » est prononcé « santsutsou »). Cette forme de variabilité peut donc potentiellement affecter les procédures d’accès aux représentations stockées dans notre lexique. Comment surmonter les modifications phonologiques afin d'accéder correctement aux représentations des mots ? Lorsque la forme de surface d’un mot diverge de la forme sous-jacente, le système de traitement reconstruit une représentation phonologique adéquate, de façon à pouvoir l’apparier avec la forme canonique stockée en mémoire. Cette approche « abstractionniste » qui caractérise la plupart des modèles psycholinguistiques de la reconnaissance de la parole suppose que chaque mot est représenté dans le lexique par une forme phonologique abstraite. Au contraire, l’approche « exemplariste » suppose que les représentations de mots en mémoire incluent les détails phonétiques de leurs réalisations (donc leurs variations). Le lexique mental serait formé de l’ensemble des occurrences de chaque mot auxquelles un auditeur a été confronté (voir les travaux de S. Goldinger). Ici, la variation n’est pas considérée comme une source de bruit mais plutôt comme une source d’information. Ces modèles proposent alors un accès direct du signal au lexique, basé sur l’activation d’exemplaires. Un argument en faveur des modèles à exemplaires provient du fait que les variantes phonologiques fréquentes des mots sont reconnues plus rapidement que leurs variantes plus rares, ce qu’on ne peut expliquer en postulant une seule représentation lexicale. En revanche, un argument en faveur des modèles abstractionnistes est que les auditeurs sont capables de généralisation sur des mots qu’ils n’ont jamais rencontrés. Les auditeurs sont en effet capables de s’adapter à des défauts de prononciation[...]

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