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PSYCHOLOGIE DU TÉMOIGNAGE

C’est à la fin du xixe siècle et au début du xxe que se développèrent différentes recherches en Europe et aux États-Unis, prémices de la psychologie judiciaire scientifique, évaluant les facteurs susceptibles de rendre compte des erreurs de témoignage. En France, Alfred Binet démontra la suggestibilité des enfants exposés à des questions dirigées. Il faudra, cependant, attendre les années 1970 pour qu’Elizabeth Loftus et ses collaborateurs poursuivent les expériences traitant de l’influence des questions dirigées sur la mémoire, et élaborent le paradigme phare pour l’étude des faux souvenirs en contexte judiciaire, le paradigme de désinformation. Ces travaux soulignent la facilité avec laquelle les individus, exposés à de fausses informations à propos d’une scène critique, intègrent ces erreurs dans leur rappel final.

L’étude des faux souvenirs, qui marque le début de l’ère moderne de la psychologie judiciaire scientifique, allait avoir une importance sociétale toute particulière à partir des années 1990 lorsque survinrent deux grands scandales sociétaux : les erreurs judiciaires essentiellement imputables à des erreurs de témoignage de bonne foi, révélées par le recours à l’ADN comme élément de preuve dans le processus judiciaire pénal, et le « syndrome des faux souvenirs », souvenirs « retrouvés » d’abus sexuels au cours de psychothérapies déviantes.

Naissent alors de nouveaux paradigmes d’implantation de souvenirs en mémoire, comme l’inflation de l’imagination. Ces travaux montrent comment les individus, soumis à des techniques suggestives comme l’imagination forcée, distinguent plus difficilement les souvenirs réels des souvenirs imaginés et peuvent ainsi croire avoir vécu des événements n’étant jamais survenus. À côté des travaux effectués pour déterminer les processus cognitifs impliqués dans la création de faux souvenirs et des erreurs de témoignage, un autre pan de recherche vise à élaborer des techniques susceptibles de réduire ces erreurs. C'est ainsi que se développa une large littérature sur les techniques favorisant un rappel d’informations à la fois exact et complet.

Si les premiers travaux sur le témoignage de l’enfant ont amené à douter de sa crédibilité, les travaux postérieurs ont permis de définir les conditions dans lesquelles on pouvait accorder du crédit au jeune témoin. La méthode la plus élaborée et aujourd’hui la plus répandue est le protocole du National Institute of Child Health and Human Development (États-Unis). Composé de trois phases très structurées (prédéclarative, déclarative et de clôture), ce protocole invite l’enquêteur à mettre en confiance l’enfant et à l’exercer au rappel d’un événement épisodique banal, avant de recueillir, par un jeu de relances, des informations sur la ou les scène(s) critique(s). L’originalité du protocole réside dans son adéquation à la complexité des affaires impliquant des enfants marquées par l’absence d’indices matériels, les limites inhérentes à l’enfant témoin (suggestible, peu prolixe, possédant un vocabulaire pauvre) et la répétition des scènes critiques. Dans le cas d’événements répétés, l’enfant est amené à rappeler le dernier épisode vécu, suivi du premier, puis finalement à décrire un épisode marquant.

Concernant le recueil du témoignage chez l’adulte, l’entretien cognitif (cognitive interview), mis au point aux États-Unis par Ronald Fisher et Edward Geiselman en 1984, constitue la méthode d’audition la plus répandue. Il a pour but d’optimiser le rappel d’épisodes vécus en proposant au témoin des stratégies de récupération de l’information critique fondées sur les théories du fonctionnement de la mémoire épisodique. Il s’agit d’abord de faciliter le recouvrement entre les conditions d’encodage et de récupération, en invitant le témoin à repenser au[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en psychologie sociale, université de Toulouse
  • : professeur des Universités

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