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PSYCHOSE MANIACO-DÉPRESSIVE (histoire du concept)

Connue depuis l'Antiquité, la survenue chez un même sujet d'états de dépression et d'états d'excitation a inspiré au cours des siècles la veine descriptive et classificatoire des médecins et des psychiatres. En 1899, E. Kraepelin fait la synthèse des travaux consacrés à ce trouble de l'humeur : la psychose maniaco-dépressive est née. Il l'oppose à la démence précoce (bientôt dénommée schizophrénie), irréversible et chronique, alors que la psychose maniaco-dépressive est essentiellement, dans ses accès, cyclique et réversible. Tenu pour certain dès le début du xixe siècle à partir de l'observation de lignées familiales, le caractère endogène, constitutionnel et héréditaire de la maladie paraît devoir définitivement conforter son autonomie. Paradoxalement, des études génétiques sont à l'origine de son démembrement à partir de 1957, avec la mise en relief de deux entités distinctes, l'une bipolaire, l'autre unipolaire. La première se caractérise, avec sa double expression clinique maniaque et mélancolique, par une euphorie et une tristesse pathologiques. Son origine héréditaire est plus qu'une probabilité. La seconde est plus sujette à caution, compte tenu de la confusion qui règne dans le repérage des états dépressifs. Parallèlement à ce courant, est apparu depuis le début des années soixante un regain d'intérêt pour les études psychopathologiques des troubles de l'humeur, études qui s'appuyaient jusqu'alors sur les acquis fondamentaux du début du siècle. Au cours de la même période, cette affection, véritable « urgence médicale » où le risque suicidaire est mille fois supérieur à celui de la population générale, a bénéficié de progrès thérapeutiques décisifs qui ont profondément modifié son visage. Elle a, de plus, le privilège d'être la seule maladie psychique qui puisse être traitée préventivement grâce aux sels de lithium.

Aperçu historique

Toute maladie est un fait de civilisation et son aspect change avec le contexte historique et les conditions culturelles. Le malade subit son mal, mais en bâtit l'expression clinique avec les « matériaux » qu'il reçoit de son milieu. Le médecin participe du même environnement lorsqu'il dépeint, nomme et traite l'affection en cause, à la lumière des acquis scientifiques de son temps. Avec les siècles, tout se transforme, alors que l'emploi des mêmes termes – ici « manie » et « mélancolie » – tendrait à faire accroire que l'on évoque sous ces vocables la même maladie, la même espèce naturelle, immuable, quels que soient l'écrit analysé et son époque.

Personne ne saurait s'aventurer dans le maquis de l'histoire de la psychose maniaco-dépressive sans se soucier de défaire l'entrelacs de deux histoires, celle des mots et celle de la maladie. La première est d'ordre sémantique. Le mot « manie » est resté longtemps synonyme de «  folie », de l'Antiquité jusqu'à Philippe Pinel (1745-1826), qui désigne ainsi tout «  délire général ». Son élève Jean Esquirol (1772-1840) vient obscurcir le débat en étiquetant «  monomanies » une série de délires partiels. Au milieu du xixe siècle, la « manie » reçoit son acception actuelle de syndrome mental caractérisé par un trouble fondamental de l'humeur qui prend la forme d'une exaltation euphorique avec une accélération de l'activité motrice et intellectuelle. Elle ne saurait se confondre avec les comportements que dénonce le même mot dans le langage courant, tels qu'un goût excessif et déraisonnable pour un objet ou une situation et une habitude bizarre ou tyrannique (ces comportements sont plus proches des « obsessions », au sens large que la psychiatrie donne à ce terme).

Le mot « mélancolie » a désigné dans l'Antiquité[...]

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Écrit par

  • : psychiatre, professeur agrégé au Val-de-Grâce

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