PSYCHOSE MANIACO-DÉPRESSIVE (histoire du concept)
Les aspects cliniques
Immuables autrefois et faisant l'objet de descriptions stéréotypées, les aspects cliniques de la psychose maniaco-dépressive ont subi, depuis l'avènement des médications psychotropes, de profondes transformations, encore accusées par l'amélioration des attitudes thérapeutiques concomitantes.
Sans nul doute – plus que son contraire, l'accès mélancolique –, l'accès maniaque a opéré, depuis la fin des années cinquante, une véritable mutation symptomatique. Le traitement préventif (lithium) et les neuroleptiques ont modifié le cours actuel de la maladie, raréfiant les accès et atténuant leur fécondité expressive. Le patient, riche d'une expérience antérieure et de l'information reçue (souvent partagée avec l'entourage familial) sait reconnaître à travers un « signal symptôme » – le plus souvent l'installation d'un trouble important du sommeil – l'annonce d'une « rechute » et peut prendre immédiatement contact avec son thérapeute. S'il s'agit d'une première manifestation de la maladie, l'admission dans un service spécialisé et l'instauration d'un traitement ont, là encore, toute chance d'être rapides car, malgré les apparences et malgré la fascination qu'exercent sur elle, par les médias, les comportements originaux ou marginaux, la société actuelle reste peu tolérante à la déviance et l'on hospitalise bien vite la plupart des « agités ».
C'est à cette occasion que pourra encore s'observer le tableau classique de l'accès maniaque, qui était autrefois durable, et qui est aujourd'hui « décapité » en quelques jours par le traitement. Il est dominé par l'accélération des activités motrices et intellectuelles et par l'exaltation euphorique.
Tout peut se voir, depuis la subagitation incessante jusqu'à l'activité effrénée, toujours désordonnée et inefficace, parfois violente et destructrice. La résistance à la fatigue ne manque pas d'étonner, compte tenu des efforts que le malade peut déployer, de jour comme de nuit.
La pensée est accélérée, chaotique ; le maniaque ne peut maîtriser l'afflux des images et des associations, alimenté par la perception aiguë, rapide mais superficielle qu'il a de l'entourage. Prolixe dans ses paroles comme dans ses écrits, passant d'un sujet à un autre, il fait preuve d'un brio en fait trompeur. C'est un « faux riche », dont les idées fuient de façon incessante.
Son comportement et son langage traduisent une modification fondamentale de l'humeur, allant de la simple exubérance à l'exaltation sans frein. Euphorique, il va affirmer de façon péremptoire sa valeur et sa toute-puissance. Libéré de toute contrainte intérieure, il ne se laisse arrêter par aucun obstacle dans son envie de boire, de manger, de satisfaire ses besoins érotiques (aux propos obscènes peuvent parfois s'associer de véritables comportements inadaptés, attentatoires à la pudeur). Il passe brutalement de l'euphorie communicative à l'acrimonie et à l'agression. Il n'a pas son pareil pour percevoir la faille chez l'interlocuteur. Les dons fugaces qu'il a pour la caricature ne vont pas sans perturber la sérénité et la cohésion des équipes thérapeutiques. Fréquemment blessés par la justesse de ses traits, les membres de sa famille éprouvent de profondes difficultés à distinguer « ce qui relève de la maladie » et ce qui peut être « normal », situation qui engendre bien des rancœurs et des conflits.
L'observation d'accès caractéristiques de la mélancolie est moins exceptionnelle. En effet, là où tout était accélération, euphorie, « folie », apparaissent le ralentissement et une tristesse profonde ; l'entourage peut tolérer plus longtemps cet état, « compréhensible », souvent[...]
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Écrit par
- Maurice BAZOT : psychiatre, professeur agrégé au Val-de-Grâce
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