PSYCHOSE MANIACO-DÉPRESSIVE (histoire du concept)
Psychopathologie : les perspectives phénoménologique et psychanalytique
Plusieurs approches théoriques ont tenté de rendre compte des caractéristiques du fonctionnement psychique du sujet maniaco-dépressif pendant la crise ou lors des phases intercritiques.
Pour L. Binswanger et pour les tenants de l'approche phénoménologique, la « manière d'être au monde » du maniaque est qualitativement modifiée. La fuite des idées traduit le glissement incoercible et continuel des séquences temporelles successives (que la conscience normale peut maîtriser après s'être abandonnée un instant à l'imagination). Toutes difficultés abolies, c'est l'euphorie de la toute-puissance dans un monde sans limite où tout est jeu et festivité. Mais cette griserie est aussi le témoignage et l'expression d'une tendance dépressive, d'un « refus » de l'existence, que traduit en toute clarté l'accès mélancolique. Si le maniaque est incapable de faire « du temps du maintenant un présent », le mélancolique est dépassé par l'écoulement d'un temps insaisissable et rejeté dans le passé (E. Minkowski). Dans les deux cas, la conscience fait l'objet d'une « destructuration temporelle-éthique », d'une désorganisation de la problématique de l'action « privant le sujet d'existence ».
Depuis le début du xxe siècle, de nombreux auteurs, dont Karl Abraham (1911-1924), S. Freud (1914), Melanie Klein (1934-1940) ont envisagé la psychose maniaco-dépressive à la lumière de la théorie psychanalytique. Nombreux et variés, leurs travaux ne peuvent que pâtir d'une tentative de synthèse réductrice qui oblige à revenir aux textes originaux.
Distinct de l'angoisse, le sentiment dépressif est, selon cette perspective, un affect universel, qui découle habituellement d'un vécu de perte d'amour de l'autre (à l'occasion d'une séparation, d'un deuil) et d'une perte d'estime de soi. La vulnérabilité à la perte d'amour, variable selon les sujets, est liée aux avatars de la première relation objectale : fondamentalement ambivalent, le petit de l'homme craint que ses propres pulsions destructrices n'anéantissent sa mère, dont il dépend entièrement, et qu'il aime. C'est cette même situation de dépendance et d'impuissance fondamentales qui instaure la dimension narcissique de la vulnérabilité dépressive. Le sujet s'en voudra de ne pas réussir à obtenir ce dont il a besoin, jaugeant son échec à la mesure de l'image idéale de soi. Ainsi, ambivalence, avidité orale et besoins narcissiques accrus sont les caractéristiques fondamentales d'une « faille », dont les événements ultérieurs vont « réactiver » la béance. Dans cette hypothèse, la mélancolie est une réaction à la perte, réelle ou imaginaire, d'un objet d'amour narcissiquement investi. Une tentative de réappropriation par le mécanisme de l'introjection tend à pallier l'« hémorragie » du moi. Mais, pour indispensable qu'il soit, l'objet, devenu frustrant par sa propre défaillance, a fait resurgir la dimension hostile des sentiments d'ambivalence. La haine qu'il suscite devient alors haine de soi, les accusations, auto-accusations, puisqu'il a cessé d'être extérieur pour être désormais « dans la place »...
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Maurice BAZOT : psychiatre, professeur agrégé au Val-de-Grâce
Classification