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PUBLICITÉ ET ART

Le publicitaire et l'art

L'artiste qui fait de la publicité uniquement « pour gagner sa vie » ressent souvent son activité professionnelle comme une indignité. En effet, le dédain dans lequel la publicité est tenue par l'historien et le critique d'art – même s'ils s'en défendent – porte préjudice à l' œuvre d'art « pure » lorsqu'elle est réalisée par un publicitaire, à telle enseigne que certains préfèrent œuvrer dans ces domaines séparés sous des noms différents. Bien sûr, Toulouse-Lautrec, Bonnard, Vuillard réalisèrent des affiches qui ont fait date ; mais l'idée selon laquelle, de leur temps, existait encore une affiche « artiste » ne persiste que pour permettre de mieux déplorer ce qui s'est passé après. Pour un Roland Sirletti qui fait volontiers état de sa formation et de son activité publicitaires, combien de publicitaires qui, à l'image de Cassandre, se désolent de ne pas être reconnus comme des artistes à part entière, dont l'œuvre graphique est pourtant supérieure à bien des œuvres d'art. L'artiste lutte pour être exposé sous son nom, le publicitaire, lui, voit ses réalisations présentées comme des œuvres anonymes, d'autant plus qu'aujourd'hui il appartient souvent à une agence où directeur artistique, concepteur, graphiste, photographe réalisent un produit graphique qui s'inscrit dans l'ensemble d'une campagne publicitaire. Pour un Vittorio Fiorucci qui maintient une indépendance constamment menacée, combien d'agences se forment pour faire front et dialoguer d'égal à égal, c'est-à-dire d'entreprise à entreprise, avec des groupes puissants ! L'artiste est censé placer l'essence de l'art au-dessus de son existence alors que le publicitaire est voué avant tout au contingent. A priori, on accorde au fresquiste, qui exécute une scène de caractère religieux ou politique – bien qu'il vise, tout comme le publicitaire, à convaincre –, une qualité d'essence qui, à défaut d'être celle de l'œuvre elle-même, passe pour être celle de la peinture. Le publicitaire est lié à un présent qui, par avance, le disqualifie aux yeux de l'amateur d'art. Son activité, ouvertement commerciale, est démonétisée sur le plan esthétique, toujours au nom de l'essence. Un critique d'art n'est-il pas allé jusqu'à qualifier l'image publicitaire de « prostituée » ? Mais l'art lié à une cause, à un certain type de mécénat n'est-il pas prostitué ? Que penser des portraitistes obligés de flatter leurs modèles et qui n'en ont pas moins réalisé des tableaux tenus pour des chefs-d'œuvre ?

La valeur « artistique » conférée à une œuvre tient également à son caractère unique. L'artiste qui utilise la lithographie ou la gravure travaille pour le nombre, tout en limitant la quantité d'exemplaires mise sur le marché. Les techniques employées sont alors considérées comme des prolongements de la peinture et ne sont pas considérées comme de simples reproductions, dans la mesure où le nombre d'exemplaires en circulation reste plus près de l'exemplaire unique que du grand nombre. Or la publicité, elle, est placée sous le signe de la quantité. L'œuvre d'art est une par rapport au zéro de l'origine – le zéro est ici comme une frontière entre l'infini et le un – et chaque exemplaire d'un tirage limité constitue une unité supplémentaire, le numéro l'atteste, la signature l'authentifie. L'affiche, l'objet publicitaire sont privés de ce rapport étroit à l'origine, de cette identité à la rareté liée encore à l'artiste par le fil sacré de la signature. Alors qu'importe que de très nombreuses œuvres publicitaires soient esthétiquement supérieures à des œuvres considérées a priori comme artistiques[...]

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Sarah Bernhardt, affiche de Mucha - crédits : MPI/ Getty Images

Sarah Bernhardt, affiche de Mucha

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  • AFFICHE

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