PULSION
Les théories des pulsions
Le fait de la dispersion des pulsions partielles amena Freud à tenter de les regrouper sous l'égide de grandes catégories. Il est significatif que, quelles qu'aient été ses fluctuations dans le choix de ces catégories, il ait toujours adopté un schéma dualiste, condition essentielle pour maintenir la notion de conflit pulsionnel. Par ailleurs, à travers les différents remaniements opérés par Freud, on retrouve chez lui une constante, à savoir l'individualisation des pulsions sexuelles. Seule varie l'individualisation du groupe opposé. En somme, ce que Freud a recherché au long de son élaboration, c'est le groupe « antisexuel ».
La première théorie des pulsions opposait le groupe des pulsions sexuelles et le groupe des pulsions du moi, ou pulsions d'autoconservation. Les paradigmes de cette théorie sont en quelque sorte l'amour et la faim. Il est à remarquer que le modèle général de la pulsion est construit sur le modèle de la pulsion sexuelle, le groupe des pulsions du moi étant beaucoup plus fixe et beaucoup moins propice aux transformations dont la pulsion sexuelle est l'objet. Dans un deuxième temps, Freud met l'accent sur la libidinisation des pulsions du moi. L'introduction du concept de narcissisme redistribue les pulsions selon leur orientation vers le moi ou vers l'objet, dans une perspective concurrentielle. Il s'agit là d'un temps théorique intermédiaire. Car Freud se rapproche à ce moment d'une conception moniste où l'antagonisme entre les groupes pulsionnels n'est pas assez tranché. Cette étape sera dépassée par la seconde et dernière théorie des pulsions, qui précède de peu la seconde conception de l'appareil psychique (remplacement des systèmes conscient, préconscient, inconscient par les trois instances : ça, moi, surmoi). Dans cette dernière théorie, le conflit entre les groupes pulsionnels prend une forme beaucoup plus radicale en mettant en opposition les pulsions de vie et les pulsions de mort (ou de destruction). Les premières tendent à créer des ensembles toujours plus vastes ; leur activité est essentiellement de rassemblement, d'unification, de conjonction. Elles marquent autant l'évolution des pulsions sexuelles que celle des pulsions du moi. L'activité des pulsions de mort ou de destruction est essentiellement de séparation, de désagrégation, de disjonction. Si Freud regroupe les pulsions de vie sous le terme d' Éros – ce qui n'est pas sans évoquer Platon –, il ne donne aucun nom correspondant aux pulsions de destruction, qui ne se laissent subsumer sous aucun terme commun, en raison même de leur nature.
Il faut souligner ici que c'est aux pulsions de mort qu'il revient de représenter le caractère fondamentalement conservateur de toute pulsion. La compulsion de répétition devient l'expression de la pulsion de mort, agissant alors comme « au-delà du principe de plaisir » : toute pulsion cherche à rétablir un état antérieur indépendamment de sa qualité agréable ou désagréable. Si Freud parle à ce sujet de retour à la matière inanimée, il s'agit là d'une comparaison extrême et métaphorique. L'essentiel est de bien marquer que la destruction est pour lui essentiellement interne, l' agressivité n'étant que la manifestation au dehors des pulsions de destruction. Ainsi le masochisme devient-il pour lui premier ; il n'est plus le résultat de l'opération par laquelle le sujet retourne le sadisme contre lui-même. En fait, ce qui est donné à observer est toujours le résultat d'une intrication des deux groupes de pulsions agissant agonistiquement et antagonistiquement. La pulsion de mort ne se révèle jamais à l'état pur, mais intriquée avec les pulsions érotiques. Invisible, elle travaille en silence, tendant à réduire à zéro les excitations.[...]
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Écrit par
- André GREEN : psychanalyste, ancien chef de clinique à la faculté de médecine de Paris, membre de la Société psychanalytique de Paris
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