PURITY (J. Franzen) Fiche de lecture
L’impossible vérité
Jonathan Franzen joue ainsi l’infiltré dans ces univers rongés par les secrets et les mensonges toxiques où, de la complicité intellectuelle ou amoureuse, va un jour filtrer la trahison. Chaque épisode anodin d’une chronique familiale dévoile des antécédents, soit l’hystérie des mères, soit un crime parfait révélant pourtant bien plus tard qui est l’assassin. Il y a chez Franzen une parenté littéraire assumée avec Thomas Pynchon lui aussi friand d’espionnes et de système secret dans les services, une fascination pour cette « zone d’inconfort », titre de son roman de 2007, où il abordait son enfance ordinaire dans le Missouri et ses premiers rêves de liberté. Si, dans Purity, le dévoilement progressif sert le suspense, si le groupe de personnages forts dont l’interaction forme le noyau du livre foisonne de richesse intellectuelle et affective, si les histoires nourrissent des perspectives multiples, Franzen entend bien que le roman traite de thèmes en phase avec son temps. Cette fois, le malaise exposé est de nature globale et à dimension planétaire. Un tel changement d’échelle qui facilite la violation de l’interdit, battant en brèche tout quant-à-soi, tout retranchement individuel, donne à ce roman une résonance universelle.
Purity fait suite à Freedom (2011). Déjà, en tant que personne et citoyen attentif, le romancier essayait de « saisir ce qui se passe dans le monde d’aujourd’hui », de mettre en lumière ce qu’il en est du sens de la liberté et du bonheur dans un pays. Face au désordre du monde, Franzen se plaît ici à reproduire des formes classiques du roman anglais, voire celles de Haendel dans son oratorio Le Triomphe du Temps et de la Désillusion (1707), où s’incarnent la Beauté et le Plaisir – les attributs de Pip et Andreas –, et à s’adonner à l’ornementation sur des sujets allégoriques – Pureté, Liberté – pour faire jaillir la vérité. Dans les histoires ramifiées de Purity, où le mensonge est perpétuel et délétère, l’écrivain confie à la littérature la tâche de rendre les gens plus proches les uns des autres dans une même réflexion et dans une inquiétude partagée. En posant que chacun a besoin de secret mais aussi de quelques témoins intimes pour construire une proximité et exister, en s’opposant aux dévots du numérique, Jonathan Franzen défend une intégrité d’être, un inviolable pré carré.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Liliane KERJAN : professeure des Universités
Classification