PYTHAGORE (580 av. J.-C.?-? 500 av. J.-C.) ET PYTHAGORISME
Il n'est guère, dans l'Antiquité, de figure plus mystérieuse que celle de Pythagore, ni qui ait posé de problèmes plus embarrassants aux historiens. Il passe pour n'avoir rien écrit, et sa pensée ne fut sans doute connue jusqu'à l'époque de Socrate que par une tradition orale, elle-même entourée de secret. Les documents qui permettent de la conjecturer émanent pour la plupart des néo-pythagoriciens de la fin de la République et des quatre premiers siècles de l'ère chrétienne, eux-mêmes connus à travers le néo-platonisme. En outre, Pythagore est devenu très tôt, peut-être même de son vivant, une figure de légende : on le dit fils d'Apollon, descendu aux Enfers, doué d'ubiquité, et faiseur de toutes sortes de miracles. Une extraordinaire affabulation, qui ne cesse de se développer au cours des siècles, entoure son personnage. Ainsi est-il déjà une énigme pour Aristote, qui évite le plus souvent de prononcer son nom, pour ne parler que de « ceux qu'on appelle pythagoriciens ». Imitant cette prudence, les historiens modernes doivent renoncer, sauf sur quelques points, à distinguer dans la tradition ce qui revient à Pythagore lui-même, et se résigner à parler seulement de « pythagorisme ancien ». Force est à l'historien actuel de conjecturer sa pensée à partir de son influence et de ses retombées, qui sont aussi considérables que sa figure historique est incertaine.
Pythagore
Un penseur essentiellement religieux
L'existence de Pythagore au moins est assurée. Né dans la première moitié du vie siècle avant J.-C. à Samos en Asie Mineure, où il fut probablement en contact avec la pensée milésienne, il quitte vers l'âge de quarante ans sa ville natale pour émigrer à Crotone, en Italie méridionale. Il y entreprend une œuvre de prédication, visant à introduire une nouvelle règle de vie, et y fonde une communauté, à la fois religieuse et politique, dont le retentissement sera considérable, premier modèle pour d'autres associations qui se créeront à Tarente, Métaponte, Sybaris, Syracuse..., mais dont le destin sera de périr, peut-être avec son maître, lors d'une révolte populaire.
Les témoignages les plus anciens et les plus authentiques montrent en Pythagore un penseur essentiellement religieux. Il doit être rapproché de ces personnages étranges et à demi-légendaires que l'on trouve associés au courant mystique du vie siècle, et qui ne sont pas sans évoquer les chamanes orientaux : tels Aristéas, Abaris, Épiménide, Phérécyde. Visionnaires inspirés, mages extatiques, purificateurs et guérisseurs, ils se donnent pour des « hommes divins », médiateurs entre l'homme et le dieu, et s'autorisent d'une faculté exceptionnelle de voyance qui leur permet d'entrer en contact avec l'invisible et de se remémorer leurs existences antérieures. Proche de l' orphisme dans cette orientation religieuse – dont témoignent des techniques visant à séparer à volonté l'âme du corps pour la mettre en contact avec le divin –, la pensée de Pythagore s'en distingue cependant par sa visée politique. Il ne s'agit pas tant pour lui d'affranchir l'individu de son existence terrestre que de réaliser un lien entre l'homme et le divin et, sur la base de ce lien, de transformer la cité. Ainsi la secte religieuse se prolonge-t-elle dans un groupement ouvert à vocation politique, organisé sur un modèle égalitaire et exaltant l'idéal civique, l'effort et la discipline collective.
La « science » de Pythagore
C'est dans cette perspective théologico-politique que doit être abordée la « science » de Pythagore, à laquelle la tradition veut qu'il ait donné, le premier, le nom de « philosophie ». Accueillant en elle les connaissances les plus diverses (si l'on en croit Héraclite, qui accusa Pythagore de « polymathie »),[...]
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Écrit par
- Marcel DETIENNE : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)
- Daniel SAINTILLAN : maître assistant de philosophie à la faculté des lettres et sciences humaines de Poitiers
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