QIZILBASH
Nom donné aux Turkmènes qui, fanatisés par les sheykh séfévides au cours du xve siècle, portèrent au pouvoir le jeune Shāh Esmā‘il, fondateur de la dynastie séfévide, à Tabriz en 1501. Ce nom resta celui de l'élite militaire turkmène qui causa tant de problèmes au pouvoir séfévide durant la seconde moitié du xvie siècle, au point que Shāh ‘Abbās Ier (1588-1629) s'efforça de faire éduquer à l'iranienne des officiers qizilbash et de les faire participer aux hautes fonctions administratives. Pour faire échec à l'influence qizilbash, il dut aussi réorganiser l'armée sur le modèle ottoman en y incorporant des gholām (esclaves chrétiens islamisés d'origine caucasienne). Après la chute des Séfévides, des tribus qizilbash rivales (afshār et qādjār) combattirent dans les rangs de l'armée de Nāder Shāh (1736-1747). Par la suite, le nom de qizilbash fut encore appliqué à des troupes tribales du Zagros d'ethnie iranienne. Dans la seconde moitié du xviiie siècle, c'était une dénomination générale pour les troupes iraniennes ou turco-iraniennes shī‘ites, par opposition aux Afghans sunnites maraudeurs, anciens soldats de Nāder. Ce nom, employé encore au xxe siècle, surtout en Turquie, concurremment à d'autres termes (‘Alevi, bektāshi) désigne maintenant un phénomène socio-religieux très complexe.
Composé d'éléments très hétérogènes, le phénomène politique, social et religieux qizilbash ne peut s'étudier que conjointement ou par rapport à l'évolution de la confrérie puis de la dynastie séfévide. De souche iranienne sédentaire et d'obédience sunnite, l'ordre de derviches séfévide, fondé à l'époque mongole à Ardabil, en Azerbaïdjan oriental, ne glissa vers une certaine forme de « shī‘isme extrémiste » fortement teinté de vieilles croyances turkmènes que vers le milieu du xve siècle. Avec les sheykh Djoneyd (1447-1460) et Heydar (1460-1488), il se militarisa et utilisa largement ses sectateurs turkmènes, originaires pour la plupart d'Anatolie orientale, dans des opérations de guerre sainte (ghazā) contre les communautés chrétiennes, surtout au Caucase. C'est à l'époque du père de Shāh Esmā‘il, le sheykh Heydar, qu'apparaît le terme qizilbash signifiant littéralement en turc « tête rouge » (sa prononciation persane étant qezelbāsh), par allusion au haut bonnet à douze plis symbolisant les douze emām du shī‘isme imāmite, dont Heydar avait institué le port. Avec l'intensification de la propagande séfévide, vers la fin du xve siècle, le terme désigne les disciples turkmènes de la confrérie pour les tenants de l'orthodoxie sunnite qui les considèrent comme hérétiques (rāfidī, mulhid sont les autres termes qui leur sont alors appliqués). Puis, comme cela arrive souvent avec ce genre de dénomination, ces Turkmènes finirent par considérer ce terme comme élogieux et c'est dans ce sens que Shāh Esmā‘il l'emploie dans son Divān, à propos de ses disciples et de lui-même.
Il est très difficile de se faire une idée du « shī‘isme qizilbash » qui mêle au culte des emām du shī‘isme duodécimain et des martyrs de Karbalā (alors commun dans une large mesure à des ordres d'obédience tant sunnite que shī‘ite), des croyances propres aux extrémistes (ghulāt) telles que la manifestation de Dieu sous une apparence humaine (tadjalli) et une certaine forme de métempsychose (tanāsukh) conduisant à une sorte d'hyperdulie du souverain séfévide, vénéré par ses frustes disciples turkmènes comme une réincarnation de ‘Ali, lui-même manifestation divine. Une étude approfondie de ces croyances dans les milieux socio-religieux de l'Est anatolien et de l'Azerbaïdjan iranien révèle que ce « shī‘isme qizilbash » n'est pas un « islamisme shī‘ite « mais plutôt » une conception religieuse[...]
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Écrit par
- Jean CALMARD : chargé de recherche au C.N.R.S., chargé de conférences à l'École pratique des hautes études (IVe section)
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