QU'EST-CE QU'UNE NATION ? Ernest Renan Fiche de lecture
Conférence prononcée le 11 mars 1882 à la Sorbonne et publiée le 26 mars suivant dans le bulletin de l'Association scientifique de France, Qu'est-ce qu'une nation ? apparaît comme le testament politique de Renan (1823-1892). Partagée entre la religion et la science, l'existence de ce dernier aura été marquée par deux événements majeurs : une crise de conscience qui l'amena en octobre 1845 à renoncer à la carrière ecclésiastique, en rompant avec le catholicisme et ses années de formation au petit puis au grand séminaire du diocèse de Paris ; une crise nationale, politique et sociale consécutive à la défaite de Sedan en 1870 et à laquelle il entreprit de trouver une issue dans La Réforme intellectuelle et morale de la France (1871).
Lorsqu'il en vient à s'interroger sur les fondements de l'identité nationale, celui qui avait accédé, en 1862, à la chaire d'hébreu du collège de France, et provoqué l'année suivante un scandale considérable en publiant sa Vie de Jésus, est devenu un des grands maîtres à penser de la IIIe République : il a été élu en 1878 à l'Académie française et il s'apprête à publier ses Souvenirs d'enfance et de jeunesse (1883) qui lui assureront une large popularité. C'est en sage qu'il s'exprime alors sur une question qui a dominé tout le siècle, avec la diffusion du concept de nation issu de la Révolution française : le problème des nationalités et des mouvements nationalistes en Europe. La réponse qu'il lui donne est en germe dans la correspondance qu'il entretint, en 1870-1871, avec le savant allemand Strauss, à propos de l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine. La « politique des races » s'y trouve, en effet, déjà critiquée au nom d'une politique du droit des nations.
La question de l'identité nationale
Après avoir précisé son dessein qui est d'analyser « une idée, claire en apparence, mais qui prête aux plus dangereux malentendus », Renan montre, dans une première partie, que les nations entendues comme individualités historiques constituent un phénomène nouveau dans l'histoire. Ce qui, d'après lui, caractérise les différents États européens, « c'est la fusion des populations qui les composent », et l'on n'a pas à s'attarder sur les vicissitudes des processus qui l'ont opérée : « L'oubli, dit-il, et même l'erreur historique sont un facteur essentiel de la création d'une nation. »
La seconde partie de son propos s'ouvre sur la constatation d'une dé-liaison, celle de la nation et d'un principe dynastique ; à côté du droit dynastique existe un droit national. Il s'agit dès lors d'identifier le « fait tangible » dont ce dernier peut procéder. Ce n'est pas la race ; la race pure est une chimère, comme l'est la politique qui prétend se fonder sur l'ethnographie ; le vocable, au reste entendu dans de multiples sens, désigne un fait qui, certes capital à l'origine, « va toujours perdant de son importance ». Ce n'est pas la langue, formation historique qui « invite à se réunir » sans y forcer, ni la religion, devenue « chose individuelle », ni la communauté des intérêts sans attaches sentimentales – une union douanière n'est pas une patrie –, ni enfin la géographie, les frontières naturelles : une nation n'est pas un groupe « déterminé par la configuration du sol ».
On s'achemine, au terme de ces réfutations, vers la célèbre définition de la nation donnée par Renan dans la dernière partie de sa conférence : « Une nation est une âme, un principe spirituel [...] une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore. »
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Écrit par
- Bernard VALADE
: professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de
L'Année sociologique
Classification
Média
Autres références
-
NATION - L'idée de nation
- Écrit par Georges BURDEAU et Pierre-Clément TIMBAL
- 4 378 mots
L'Académie française, en 1694, définit la nation comme l'ensemble des habitants d'un même État, d'un même pays, vivant sous les mêmes lois et utilisant le même langage.
Au xixe siècle, on ne se contente plus d'une définition et on cherche à expliquer la formation des nations....