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QU'EST-CE QUE LA LITTÉRATURE ? Jean-Paul Sartre Fiche de lecture

« Tiraillés entre une classe et l'autre »

On sait que Sartre a décliné sur des modes différents – essai, roman, théâtre, autobiographie – une philosophie qui s'articule autour de trois concepts clés : liberté, situation, autrui. Rappelons-en les grandes lignes : l'homme est condamné à la liberté, constat aussi angoissant qu'exaltant, d'où ses efforts pour y échapper, notamment par la mauvaise foi. Mais cette liberté n'est pas une abstraction. Elle a à s'exercer concrètement, pratiquement, dans le monde. Là, l'homme est « en situation », pris dans un réseau de contingences – corps, histoire, classe, famille, etc. –, autant de déterminismes dont il s'agit, précisément, de s'arracher par des choix. Or un nouveau problème surgit : l'exercice de ma liberté n'est pas seulement rendu difficile par l'effroi qu'elle suscite en moi, ou par les résistances extérieures et surtout intérieures qu'il me faut combattre. Il se heurte également à l'exercice de la liberté d'autrui. Car, comme le démontre la relation amoureuse, il semble que deux libertés ne puissent jamais vraiment coïncider.

La réflexion de Sartre sur la littérature reprend d'autant plus fidèlement ce cheminement qu'à ses yeux c'est précisément dans le fait littéraire que la liberté, ses exigences et ses échappatoires se laissent observer de manière privilégiée. La « responsabilité de l'écrivain » (titre d'une conférence prononcée à la Sorbonne en 1946) consiste, d'abord, à prendre conscience de sa liberté, ensuite à s'interdire la facilité de la mauvaise foi (par exemple dans la fuite vers la « littérature pure »), et, enfin, à exercer cette liberté par des choix clairs, d'autant plus difficiles à faire qu'il est lui-même englué dans une réalité historique et sociale – la sienne, celle de son époque. Longtemps, cette détermination a été consciente et assumée : l'écrivain bourgeois écrivait pour un public de bourgeois. Depuis 1848 et sa rupture avec son public « naturel », travaillé par la mauvaise conscience, le voilà pris dans des contradictions qui sont également celles du lecteur. À cet égard, on ne peut pas dire que la dialectique du déterminisme et de la liberté trouve ici sa résolution. La critique des deux impasses opposées que constituent, par exemple, le réalisme socialiste et le surréalisme aboutit plus à une alternance, pour ne pas dire une hésitation, qu'à une conciliation ou un dépassement. C'est d'ailleurs sur ce point que la réflexion sartrienne va être combattue par ce qu'il sera convenu d'appeler la « nouvelle critique », laquelle, à la suite de Maurice Blanchot, tendra à replacer la littérature, toute la littérature, dans le camp de la poésie, et contre la prose « utilitaire ».

C'est plutôt dans le rôle actif joué par le lecteur que réside le véritable apport de la pensée de Sartre, que théoriseront par la suite Hans Robert Jauss et l'école de l'« esthétique de la réception ». Par son échec même, Qu'est-ce que la littérature ? n'en reste pas moins un ouvrage capital, qui entre en forte résonance avec les autres facettes de l'œuvre sartrienne – philosophiques, dramatiques, romanesques – tout en éclairant les grands débats du xxe siècle sur le fait littéraire.

— Guy BELZANE

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