QU'EST-CE QUE LA PROPRIÉTÉ ? Pierre-Joseph Proudhon Fiche de lecture
Après un traité de linguistique et un mémoire Sur l'utilité de la célébration du dimanche, Proudhon (1809-1865), esprit indépendant et imprimeur de son état, signe en 1840 une réflexion iconoclaste et restée célèbre sur l'idée de propriété qu'il poursuivra sous forme de deux autres mémoires, en 1841 dans sa Lettre à M. Blanqui et en 1842 dans l'Avertissement aux propriétaires (Lettre à M. Considérant), puis, au soir de sa vie, dans un ouvrage intitulé Théorie de la propriété (1862). Véritable succès en librairie, Qu'est-ce que la propriété ? est aussitôt réédité et vaut à son auteur une notoriété brutale. Pour l'avoir dédié à l'Académie de Besançon scandalisée par ses « doctrines antisociales », Proudhon échappe de peu à la suppression de la bourse Suard qu'elle lui avait attribuée en 1838, ainsi qu'à des poursuites pénales que lui évite l'économiste Adolphe Blanqui en vantant les mérites scientifiques de l'ouvrage dans un rapport à l'Académie des sciences morales et politiques.
« La propriété, c'est le vol ! »
On divise habituellement les cinq chapitres de l'ouvrage en deux parties, l'une principale et critique, l'autre dogmatique et plus accessoire.
Après avoir servi à lancer la fameuse formule – empruntée au girondin Brissot –, le premier chapitre introductif entreprend, sur le constat de la prédominance dans l'entendement de l'habitude et des préjugés sur les catégories kantiennes, une généalogie de l'idée du juste qui, « mal déterminée et incomplète », explique « les mauvaises applications législatives, la politique erronée, le désordre et le mal social ». Parmi les trois principes fondamentaux qui, selon l'auteur, persistent encore malgré la Déclaration des droits de 1789 et la charte de 1830 – souveraineté dans la volonté d'un homme, inégalité des fortunes et des rangs, propriété –, c'est le dernier dont il importe de démontrer l'injustice, celle des deux autres finalement en dépendant.
Le chapitre ii consiste en une critique du Code Napoléon qui, comme le droit romain, fait de la propriété un droit absolu d'user et d'abuser d'un bien. Or la propriété se distingue des droits naturels (liberté, égalité et sûreté) pour être, selon Proudhon, « en dehors de la société ». De même, elle ne peut trouver de fondement ni dans la loi civile, ni dans l'occupation comme le soutiennent Reid, Destutt de Tracy et Dutens. D'une part, « l'occupation conduit à l'égalité », et, d'autre part, « elle empêche la propriété » parce qu'elle est fonction de l'espace physique et du nombre d'individus.
Le chapitre iii s'attaque en trois temps à l'argument qui consiste à légitimer la propriété à partir du travail : d'abord, la terre, « bien indispensable à la conservation et donc chose commune », ne peut être appropriée ; ensuite, le consentement universel ne suffit pas à justifier la propriété ; enfin, la prescription n'est jamais acquise en la matière. Proudhon ajoute que le travail n'a aucune puissance d'appropriation, qu'il conduit à l'égalité des propriétés et que finalement il « détruit la propriété ».
Il résulte, comme le chapitre iv vise à le démontrer en dix axiomes, que « la propriété est impossible » du point de vue de la justice. Et, au premier chef, parce qu'elle est un droit d'aubaine, « un pouvoir de produire sans travailler » détenu par certains qui accaparent ainsi une valeur dont ils ne sont pas les auteurs. La spoliation ouvrière et la lutte des classes, que cette pratique engendre, achèvent le tableau d'une « société qui se dévore ».
Enfin, dans un dernier chapitre, Proudhon ébauche, à partir de trois types de sociabilité[...]
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Écrit par
- Éric LETONTURIER : docteur en sociologie, D.E.A. de philosophie, maître de conférences à l'université de Paris V-Sorbonne
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Média