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QU'EST-CE QUE LE FASCISME ? HISTOIRE ET INTERPRÉTATION (E. Gentile)

Il aura fallu beaucoup de temps pour que le public francophone prenne connaissance de l'œuvre de Renzo De Felice, le grand historien romain disparu en 1996, auquel nous devons un réexamen radical de la nature du régime mussolinien. Emilio Gentile, qui fut son élève et qui est aujourd'hui professeur à l'université de Roma-La Sapienza, aura eu moins longtemps à attendre pour que la traduction de plusieurs de ses livres lui apporte, chez nous, la consécration qu'il mérite.

Dans La Religion fasciste (trad. franç., Perrin, Paris, 2002), Gentile posait sur le fonctionnement du régime un regard d'historien et d'anthropologue qui constitue une véritable clé de lecture permettant de comprendre l'adhésion des masses italiennes à la dictature. Dans Qu'est-ce que le fascisme ? Histoire et interprétation (2002 ; trad. franç., Gallimard, Paris, 2004), il affronte le problème majeur de l'interprétation d'un phénomène politique qui, avec le nazisme et le communisme, a profondément marqué son siècle.

D'entrée de jeu, l'auteur pose en axiome que le fascisme a bel et bien existé en tant que phénomène politique autonome, avec son idéologie, sa culture, son système d'encadrement et de « formatage » des masses, etc.

Ce sont précisément ces éléments constitutifs du « fascisme-régime » qui font que ce dernier ne saurait être réduit au mussolinisme, autrement dit à une dictature personnelle pilotée par un leader charismatique et omnipotent. Pour Gentile, qui n'hésite pas sur ce point à prendre ses distances avec De Felice, aussi bien qu'avec l'historiographie marxiste et marxisante, le fascisme italien fut d'abord et principalement un totalitarisme. La définition qu'il donne de ce phénomène, dont Hannah Arendt limitait pour sa part l'extension au communisme et au nazisme, est en soi une réponse à ceux qui refusent encore, pour des raisons clairement idéologiques, de distinguer le fascisme et son homologue nazi des formes classiques de la contre-révolution.

Par totalitarisme, Gentile entend « un nouveau système de domination politique, inventé par un parti révolutionnaire unique qui aspirait au monopole total sur l'État et sur la société, et visait à une véritable „révolution anthropologique“, c'est-à-dire à rien de moins qu'à créer un homme nouveau ». Un projet dont la mise en œuvre a commencé bien avant l'utilisation du mot pour désigner le stalinisme et le nazisme.

Le mythe de l'« Italien nouveau » a donc occupé une place centrale dans la culture, la politique et les objectifs du régime. Du succès de la révolution anthropologique dépendait, pour les fascistes – le Duce et ses collaborateurs les plus proches, mais aussi le parti, dont Gentile explique qu'il a joué un rôle considérable dans le processus de fascisation de l'Italie – la réussite de leur projet totalitaire. L'idée d'un « remodelage des Italiens », déjà présente chez les nationalistes de la fin du xixe siècle, est devenue dès le milieu des années 1920 l'obsession du régime. La figure idéale en est celle du « citoyen-soldat », élevé conformément au commandement unique et intangible de la religion fasciste : « croire, obéir, combattre », dans le but de créer une société guerrière. La politique de masse du régime, dans tous ses aspects, fut conçue et mise en œuvre comme une activité constante de « pédagogie totalitaire » appliquée dès la naissance aux Italiens.

La question des origines du fascisme n'est pas la moins importante. À l'opposé des thèses de Zeev Sternhell, Emilio Gentile juge indéfendable l'idée que le fascisme serait né en France, à gauche, et qu'il aurait existé comme idéologie avant l'apparition du mouvement fasciste : une interprétation qui « donne une importance excessive à l'expérience de quelques[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'Institut d'études politiques de Paris

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