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QU'EST-CE QUE LE THÉÂTRE ? (C. Biet et C. Triau) Fiche de lecture

Les polémiques qui agitèrent le festival d'Avignon 2005 sans s'y éteindre témoignent de l'importance que revêtent les définitions. C'est, en effet, au nom de ce qu'est ou de ce que n'est pas le théâtre (trop de corps ? pas assez de texte ?) qu'une partie de la critique s'est alors déchaînée – oblitérant par ailleurs un débat qui aurait pu être plus stimulant sur ce que les œuvres incriminées produisaient, tant dans le domaine politique qu'esthétique.

Presque crânement est paru dans les mois qui suivirent Qu'est-ce que le théâtre ? coécrit par Christian Biet et Christophe Triau, tous deux universitaires et spécialistes du théâtre (Folio-essais, 2006). L'ouvrage commence vraiment dès cette question-titre provocatrice à laquelle les auteurs font un sort dès l'introduction : qu'on ne cherche pas là une perspective ontologique pétrifiante sur ce que devrait être le théâtre. L'approche sera empirique au contraire, faisant la somme des expériences disparates qui jalonnent les siècles. Et c'est certainement l'un des grands mérites de cet essai que de s'attarder sur chaque singularité, de refuser de les abstraire dans des ensembles certes valorisants mais bien peu effectifs. Il s'agit ici de prendre acte que chaque expérience de spectateur est spécifique, unique même et, dans l'hétérogénéité du théâtre, de laisser percevoir des filiations, des questions récurrentes, voire des apories. Le choix d'une écriture à quatre mains permet d'ailleurs un va-et-vient particulièrement enrichissant entre passé et présent, entre polémiques et réflexions sur le classique et le contemporain.

Devant la somme que constitue cet ouvrage d'un millier de pages, il est peut-être plus simple, pour l'aborder, de dire tout d'abord ce qu'il n'est pas. Refusant de subordonner le théâtre à la littérature, il se veut au contraire attentif à sa nécessaire représentation. Il prend donc acte, notamment, de la multiplicité des paramètres intervenant dans une « séance théâtrale », du processus de création à sa réception. Ainsi, Christian Biet et Christophe Triau discutent fermement la notion d'« illusion », tentant de s'extraire des simplifications qui trop souvent balisent le champ théorique. Car l'« illusion », ici, est mise en rapport avec l'expérience concrète du spectateur : elle n'est pas pensée spéculativement (bien que prenant également en compte les écrits théoriques sur le sujet), mais reconduite au contraire à l'expérience esthétique et sociale propre au lieu théâtral.

Il n'est d'ailleurs pas anodin, qu'après l'introduction, qui revient sur l'impossibilité d'une définition trop crispée du théâtre, interviennent plusieurs écrits dus à ceux-là mêmes qui font le théâtre : témoignages drolatiques et réflexifs d'un metteur en scène (Jean Jourdheuil), d'un auteur (David Lescot), d'un dramaturge ou d'un comédien, etc. Cette ouverture témoigne du souci de la part des auteurs de ne jamais oublier que le théâtre est une pratique, collective, inscrite dans une époque donnée, et avec un faisceau de caractéristiques propres. La liste des spectacles abordés est ainsi impressionnante, qui permet chaque fois au lecteur d'approcher les enjeux décrits avec une véritable intégrité.

S'il ne se concentre pas, et de loin, sur la seule question du texte, ce livre n'est pas davantage une histoire du théâtre. Il en propose une, nécessairement et comme en creux, qui s'avère toutefois rétive à l'ordre chronologique. Celui-ci, bien souvent, freine la pensée, empêche tout montage de questions, isole et parcellise les débats. Si les auteurs n'oublient pas les conjonctures politiques, ils tentent de faire se répondre les interrogations des praticiens,[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en arts du spectacle à l'université de Strasbourg-II-Marc-Bloch