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QU'EST-CE QUE LES LUMIÈRES ? Emmanuel Kant Fiche de lecture

Publié en 1784 dans la BerlinischeMonatsschrift, soit trois ans après la Critique de la raison pure (1781) et quatre ans avant la Critique de la raison pratique (1788), Qu’est-ce que les Lumières ? peut être considéré comme le bouquet du feu d’artifice de cette période qualifiée d’ « Aufklärung » en Allemagne et de « philosophie des Lumières » en France. Emmanuel Kant (1724-1804) y établit le bilan d’un siècle d’émancipation, bilan qu’on aurait pu attendre de l’un des grands philosophes français de l’époque mais qui nous est venu de Prusse.

Dans cet opuscule, Kant pose le problème de la domination intellectuelle d’une élite sur le commun des mortels, analyse le rapport dominant-dominé sur le plan du jugement et démontre la capacité universelle de rechercher par soi-même la vérité.

Au siècle précédent, René Descartes, en affirmant, dès la première phrase de son Discours de la méthode (1637), que « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée », avait ouvert la voie à de profondes évolutions en rejetant l’idée qu’une élite d’individus compétents puisse imposer ses opinions à une masse ignorante.

Tout le xviiie siècle a décliné de mille manières cette thèse révolutionnaire, préparant les bouleversements politiques de la fin du siècle. Le texte de Kant y apporte la touche finale : « Sapere aude ! » (« Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! »), voilà la devise des Lumières.

Les prédécesseurs de Kant

Chaque fois qu’ils ont abordé la question de la domination, les philosophes des siècles précédents ont adopté soit le point de vue du dominant, soit celui du dominé. Tantôt ils se sont apitoyés sur le sort des victimes de manipulateurs habiles, tantôt ils ont défendu l’idée que la masse incapable de juger devait suivre aveuglément les directives d’une élite éclairée. Deux philosophes ont fait exception : Platon (428 env.-env. 347 av. J.C.) et Étienne de La Boétie (1530-1563).

Platon, au livre VI de sa République, utilise une métaphore qui sera reprise par bon nombre de ses successeurs : il compare la foule à un « gros animal », et le despote à un dompteur. Mais, du même coup, le mystère s’amplifie : pour diriger l’animal, le dompteur doit apprendre à le connaître, à se plier à ses goûts et à ses émotions, et il en va de même pour le chef manipulateur. S’il en est ainsi, qui manipule qui ? Qui domine, et qui est dominé ? Et si c’était en définitive le dompteur qui était dompté ?

Au xvie siècle, dans un ouvrage énigmatique et inclassable, le Discours de la servitude volontaire, Étienne de La Boétie refuse à son tour de rejeter toute la faute sur le dominant. Comment peut-on admettre aussi aisément que la masse des hommes soit réduite en esclavage par une infime minorité, voire par un seul homme – le tyran – supposé s’imposer à tous ? En vérité, « c’est le peuple qui s’assujettit et se coupe la gorge ».

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Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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  • LUMIÈRES

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    ...vers lequel tendre, déjà partiellement atteint, mais sans cesse menacé, renié pour céder à la soumission de l'esprit et à l'aliénation de la raison. À partir de Qu'est-ce que les Lumières ?, on peut penser celles-ci comme la conquête d'une attitude intellectuelle plus qu'un ensemble de valeurs,...