QUAND ON A 17 ANS (A. Téchiné)
Dans un précédent film d’André Téchiné, Les Innocents (1987), le chef d’orchestre Klotz, interprété par Jean-Claude Brialy, expliquait à ses musiciens que « la jeunesse, c'est la page blanche, le risque de la remplir et de se tromper. La jeunesse, c'est refuser de porter un vieillard en soi ». Or, les derniers films de Téchiné – Impardonnables (2011) et L’Homme qu’on aimait trop (2014) – donnaient le sentiment d’un cinéaste embarrassé par son riche passé d’auteur.
Dès les premiers plans de Quand on a 17 ans (2016) où la caméra accompagne allègrement un bus dans un superbe paysage enneigé, on comprend que Téchiné a trouvé un nouvel élan, et pas seulement parce qu’il a écrit le scénario en collaboration avec Céline Sciamma, une jeune réalisatrice qu’il tient pour « la seule en France à avoir apporté un regard neuf sur l’adolescence ». Il existe certes une parenté entre ce film et les deux premières œuvres de Céline Sciamma (Naissance des pieuvres, 2007 ; Tomboy, 2011), où l’on voit des adolescents en quête de leur identité sexuelle. Mais la vraie proximité est sans doute à trouver du côté de Bande de filles (2014), dont les personnages sont confrontés, comme dans maints films de Téchiné, à un choix et un arrachement qui engageront toute leur vie.
Dans l’œuvre même du réalisateur, la parenté de Quand on a 17 ans avec Les Roseaux sauvages (1994) s’impose vite à l’esprit. Là encore, un adolescent, François, découvrait avec angoisse son homosexualité. Pourtant, les deux films ne sauraient raconter la même histoire, tant est différente la place que l’homosexualité occupait dans l’imaginaire social et individuel en 1994 et surtout en 1962, date des souvenirs contés par Les Roseaux sauvages, et celle, plus « libérale », qui est montrée cette fois. Par-delà des éléments communs (le Sud-Ouest natal, le lycée, le baccalauréat, les baignades, la guerre, la mort...), la scène des Roseaux où François, terrorisé, demande de l’aide au marchand de chaussures de la ville, homosexuel notoire, paraîtrait ridicule aujourd’hui. Celle où Marianne (Sandrine Kiberlain) écoute en silence son fils Damien (Kacey Mottet Klein) lui expliquer qu’il a voulu embrasser son camarade Tom (Corentin Fila) eût paru illusoire en 1994 et scandaleuse en 1962.
Une guerre à deux
Quand on a 17 ans – qui emprunte son titre à un célèbre vers de Rimbaud – est fort logiquement divisé en trois parties, non par un choix de construction dramatique, mais parce que le baccalauréat continue de marquer une frontière sociale symbolique entre l’assujettissement à la famille et la possibilité de donner libre cours au désir et au risque de « la page blanche » dont parlait justement Klotz. La première partie déconcerte volontairement le spectateur, tout comme elle déroute aussi bien les deux jeunes protagonistes que les adultes qui les entourent. Sans raison apparente, Tom provoque Damien. Entre eux, c’est un crescendo de violences, montrées dans une succession de scènes brèves, sans relations de cause à effet, et qui ne cherchent pas à faire sens. Nous prenons vraiment conscience de cette guerre à deux lorsque le proviseur, sans pouvoir résoudre en quoi que ce soit le problème, convoque les deux garçons et Marianne, qui ne saura que demander comment « distinguer qui est le bourreau et qui est la victime ».
Bon élève, d’apparence plutôt facile et fragile, Damien Delille est un enfant unique. Mais son regard est ferme et perçant et, « pour apprendre à se défendre », il s’exerce aux sports de combat. Marianne est médecin et se montre ouverte et directive, en authentique mère moderne. Le père, Nathan (Alexis Loret), pilote dans l’armée, est presque toujours en mission dans des pays en guerre.
Métis, Tom a été adopté par les Charpoul, agriculteurs, après que la mère, Christine, n’a pu aller au terme[...]
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
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