Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

QUÉBEC Littérature

La poésie, éternellement à réinventer

Chaque pays a ses poètes phares, sur lesquels le regard se fixe quand il souhaite se faire une idée, au moins schématique, des vertus lyriques d’un pays. Le Québec, habité par la transmission orale, ne transgresse pas cette loi non écrite en institutionnalisant la triade Émile Nelligan, Hector de Saint-Denys Garneau, Gaston Miron, qui fait du poète maudit le frère de sang du poète engagé. Il n’en reste pas moins que la poésie québécoise bénéficie, depuis sa première grande époque de publication – les années 1960 –, d’une dynamique de création constante, grâce au légitime intérêt des poètes pour l’édition et la diffusion de leurs textes.

Lors de la décennie suivante, alors que la crise politique n’a fait que s’aiguiser et le sentiment d’inconfort existentiel que s’exacerber, l’acte d’écrire s’est orienté vers un refus de la langue de communication courante en privilégiant l’innovation formelle. On le voit, par exemple, avec Nicole Brossard, dont on peut retenir le recueil fondateur Amantes (1980). Cette tentation d’une prose poétique sans rien qui pèse ni qui pose, se détournant par éthique autant que par principe du langage de la communication courante, Claude Beausoleil (1948-2020) la met en forme dans un de ses plus célèbres recueils, Au milieu du corps l’attraction s’insinue (1980).

Entre le corps du poète, « espèce fragile », pour reprendre – au singulier – le titre du recueil (Espèces fragiles, 2002) de Paul-Marie Lapointe (1929-2011), et le corps urbain de la mégalopole montréalaise, un espace intermédiaire flou et fugitif s’insinue que l’écriture cherche à transcrire selon des voies plurielles. Le suicide de Claude Gauvreau, en 1971, interroge ses confrères et questionne dans le même temps la place du poète dans cette société francophone qui ne peut plus simplement se nourrir de la nostalgie de ses origines et de la force de ses cris militants. Le titre du recueil de Michel Beaulieu (1941-1985), Oratorio pour un prophète (1978), en sonne-t-il le glas ou le renouveau ?

Issu par ses origines pionnières des forêts profondes et immaculées qu’a si bien versifiées Alfred Desrochers (1901-1978) au beau milieu de la crise boursière de 1929, le poète québécois est devenu, à l’époque contemporaine, un citadin amer adoptant pour mieux les mettre sens dessus dessous les mots de la cité, à l’image de François Charron, un des chefs de file de la nouvelle poésie québécoise, dans son recueil Blessures (1978).

Comme le souligne l’anthologie thématique des poèmes sur Montréal de Claude Beausoleil, intitulée Montréal est une ville de poèmes vous savez (1992), le poète québécois interroge l’équilibre instable de sa position dans la ville et contre la ville à l’heure postmoderne. Revenu d’une époque où primait le formalisme de la revue Tel Quel, ce poète ancré dans la vie moderne renoue avec son destinataire en renonçant à l’hermétisme forcené.

Les mots « pour les âmes », pour reprendre un nouveau titre de Paul-Marie Lapointe, se font plus simples, le phrasé plus dépouillé, à l’image du recueil de Louise Dupré, La Peau familière (1983), qui obtient le prix Alfred-Desrochers en 1984. Pour autant, le poète reste, à l’image d’Yves Boisvert (1950-2012) et de son recueil Gardez tout (1987), un ennemi langagier des lieux communs. Fils spirituel de Gaston Miron, à l’instar de Pierre Nepveu, auteur de Romans-fleuves (1997) et Lignes aériennes (2002), Yves Boisvert ne rechigne pas à la lecture publique, faisant de la mise en voix la meilleure propagandiste de son art poétique. Certains, comme Lucien Francœur (Les Rockeurs sanctifiés, 1982), poursuivent la voie tracée par Félix Leclerc et Gilles Vigneault, en refusant d’être seulement estampillés poètes et en passant de la chanson à la critique et de la critique à la poésie. [...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-XIII
  • : maître de conférences, habilité à diriger des recherches, formateur agrégé de lettres à l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation, Sorbonne université
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Médias

Anne Hébert - crédits : Micheline Pelletier/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Anne Hébert

Gaston Miron - crédits : Jean Pol Stercq/ Opale/ Leemage

Gaston Miron

Félix Leclerc - crédits : Keystone-France/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Félix Leclerc