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QUÉBEC Littérature

L'écrivain et la langue

La question de la langue revient de façon obsessionnelle à travers l'histoire du Québec et de sa littérature. Dès 1867, le poète Octave Crémazie (1827-1879) lançait le débat, dans un texte maintes fois cité : « Ce qui manque au Canada, c'est d'avoir une langue à lui. Si nous parlions iroquois ou huron, notre littérature vivrait. Malheureusement, nous parlons et écrivons d'une assez piteuse façon, il est vrai, la langue de Bossuet et de Racine. Nous avons beau dire et beau faire, nous ne serons toujours, au point de vue littéraire, qu'une simple colonie, et quand bien même le Canada deviendrait indépendant et ferait briller son drapeau au soleil des nations, nous n'en demeurerions pas moins de simples colons littéraires. » Crémazie pose donc le problème de la marginalité de la littérature du Canada : comment peut-elle déterminer son indépendance face à l'imposante littérature de l'ancienne métropole ? Faut-il, pour s'affirmer comme littérature nationale, développer une langue d'écriture originale, nouvelle, « canadienne » ?

Les écrivains du Québec n'ont cessé de remuer ces questions, en proie à ce que Lise Gauvin appelle la « surconscience linguistique », d'autant plus aiguë qu'ils ont aussi le sentiment que la pérennité de leur langue dans leur propre pays est menacée et qu'ils ont sur ce point un devoir spécifique de vigilance. « La langue, ici, n'a jamais été un donné, c'est-à-dire une institution à partir de laquelle on commence, mais elle est une institution à laquelle il faut arriver. C'est tuant », constate le poète Gaston Miron (1928-1996).

Dans les années 1960, certains écrivains appartenant au groupe de la revue Parti pris s'engagent dans la pratique littéraire du joual (parler populaire de Montréal). Ce choix provocateur et peut-être désespéré vise à faire entendre la voix de ceux qui ne savent pas prendre la parole et, surtout, à radicaliser la puissance de résistance de l'écriture : comment mieux s'affirmer québécois que dans une langue en rupture de norme, qui est pourtant « le langage pourri de notre peuple » (Gérald Godin). Les partisans du joual semblent trouver leur héraut en la personne de l'homme de théâtre et romancier Michel Tremblay, qui invente une langue d'expression puisant son rythme et ses images dans les parlures populaires.

La polémique s'est essoufflée dans les années 1970. Les uns ont dénoncé dans le joual (qui emprunte son nom à la prononciation en joual du mot cheval) le cheval de Troie de la domination anglo-américaine (Jean Marcel, Le Joual de Troie, 1973). D'autres, comme Pierre Vadeboncœur (1920-2010), ont souligné le risque de transformer la revendication pour le joual en effet de mode ou en complaisance folklorique. Il reste que tous ces débats ont encore renforcé la conscience d'une spécificité linguistique québécoise.

L'ouvrage de la poétesse et essayiste Michèle Lalonde (1937-2021), Défense et illustration de la langue québécoise (1979), en prend acte, en encourageant les écrivains à user librement de toutes les ressources de leur langue maternelle. L'écriture québécoise s'est affranchie du carcan du français trop français, pour inventer, de Jacques Godbout à Victor-Lévy Beaulieu, une langue de rythme et de sève, de néologismes heureux et de syntaxe dansante, qu'on pourrait appeler le « québécois ».

La réflexion sur la langue rencontre souvent – on l'a vu déjà chez Crémazie – la thématique coloniale. L'influence du sociologue Jacques Berque (1910-1995) et des penseurs de la décolonisation, la rencontre des diasporas noires francophones d'Amérique (Haïti, Antilles) ont conforté les intellectuels du Québec dans leur analyse de la situation du Québec comme situation coloniale (Pierre Vallières,[...]

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Écrit par

  • : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
  • : professeur à l'université de Paris-XIII
  • : maître de conférences, habilité à diriger des recherches, formateur agrégé de lettres à l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation, Sorbonne université

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Médias

Anne Hébert - crédits : Micheline Pelletier/ Gamma-Rapho/ Getty Images

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