- 1. Écrire québécois
- 2. L'écrivain et la langue
- 3. Une poésie de résistance
- 4. Privilège de l'oralité
- 5. Naissance d'un théâtre
- 6. Vitalité du roman
- 7. Une littérature en fusion
- 8. Le roman : des écritures migrantes à la question des territoires
- 9. Le théâtre, en quête de nouvelles origines
- 10. La poésie, éternellement à réinventer
- 11. Bibliographie
QUÉBEC Littérature
Une poésie de résistance
La poésie du Québec procède du mouvement de résistance à la suprématie anglo-américaine : elle est parole d'affirmation, de reprise de possession de soi-même et de son pays. Sensible déjà dans l'œuvre des « quatre grands aînés » – Hector de Saint-Denys Garneau (1912-1943), Alain Grandbois (1900-1975), Anne Hébert (1916-2000), Rina Lasnier (1910-1997) – découvreurs d'une modernité poétique tournant le dos au conformisme social, la volonté d'inventer un nouveau rapport personnel au monde en même temps qu'une patrie rassemble les poètes des années 1950 en un mouvement cohérent autour de l'Hexagone, maison d'édition fondée en 1953 et principalement animée par Gaston Miron.
À la période de la « grande noirceur » (l'époque de stagnation, quand le conservateur Maurice Duplessis était Premier ministre du Québec – entre 1944 et 1959 – succède L'Âge de la parole, titre du recueil où, en 1965, Roland Giguère (1929-2003) réunit ses poèmes de rupture avec le « passé incendié » et d'espoir en l'avènement de la liberté : « La main du bourreau finit toujours par pourrir. » Toute la thématique de l'Hexagone est là : quête d'une appartenance à fonder et parti pris de poésie agissante.
Mais les poètes de l'Hexagone pratiquent aussi une poésie qui laisse toute son ampleur au chant. Poésie exaltée d'Yves Préfontaine (« À cette terre excessive doit correspondre une poésie excessive »). Poésie de l'adhésion au réel chez Paul-Marie Lapointe (1929-2011), avec son recueil Le Réel absolu (1971). Poésie plus indécise et fluide de Jean-Guy Pilon (1930-2021), tournée vers la célébration de la femme et du pays (Recours au pays, 1961). Poésie de Gatien Lapointe (1931-1983), plus éloquente, prolixe comme le grand fleuve qui traverse le Québec (Ode au Saint-Laurent, 1963). Poésie fulgurante de Fernand Ouellette, en quête d'une transcendance charnelle (Le Soleil sous la mort, 1965). Poèmes-tracts de Michèle Lalonde, qui résument en quelques formules lapidaires la question nationale du Québec (« Speak White », 1968)...
Avec Gaston Miron, le plus écouté des poètes québécois, par son rôle d'animateur, son engagement militant et la qualité de son expérience poétique, la poésie se définit comme une « anthropologie », c'est-à-dire comme une défense et illustration d'un être collectif québécois : l'aventure personnelle, dans ce qu'elle a de plus intime, s'y identifie au destin de la communauté. En 1970, L'Homme rapaillé (du verbe rapailler, « rassembler »), en élaborant un langage poétique nourri de la langue populaire et du paysage culturel québécois, en tenant le journal de la double libération du poète et de son pays, réunit dans une même inspiration l'interrogation lyrique et l'affirmation épique. Le rayonnement de Gaston Miron tient aussi aux nombreuses déclamations publiques de ses poèmes, où le grain et la pulsion de la voix même du poète mettent en valeur la puissance charnelle du rythme.
On peut rapprocher de l'Hexagone Paul Chamberland (Terre Québec, 1964), devenu le chantre des utopies de la « nouvelle culture », ou Jacques Brault (1933-2022), l’auteur de Mémoire (1965), La Poésie ce matin (1971) ou L'En dessous l'admirable (1975), qui ont tous deux participé au travail critique de la revue Parti pris. La poésie de Jacques Brault, chaleureuse, à l'écoute du monde et des hommes, trouve son ton personnel dans l'évidence du langage quotidien. Édités à Québec et animateurs de la revue Estuaire, Suzanne Paradis (Les Chevaux de verre, 1979) et Pierre Morency (Au nord constamment de l'amour, 1973) restent familiers d'un monde encore provincial, peut-être plus serein et proche de la nature.
Tout un courant de la[...]
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Écrit par
- Jean-Louis JOUBERT : professeur à l'université de Paris-XIII
- Antony SORON : maître de conférences, habilité à diriger des recherches, formateur agrégé de lettres à l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation, Sorbonne université
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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