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QUÉBEC Littérature

Vitalité du roman

Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, le roman québécois est essentiellement rural et idéaliste. Il pose, avec Damase Potvin (1879-1964) et son roman L'Appel de la terre (1919), le problème de la succession sur la terre paternelle : les fils sauront-ils résister à l'appel de la ville et resteront-ils attachés à leur terroir ? Trente Arpents (1938) de Ringuet, à la suite du Menaud maître-draveur (1937) de Félix-Antoine Savard (1896-1982), représente une fidélité quasi tellurique au Canada français terrien.

Après 1945, le centre d'intérêt romanesque se déplace vers la ville. Dans Au pied de la pente douce (1944) et Les Plouffe (1948), Roger Lemelin (1919-1992) évoque la Basse-Ville de Québec dans son enfance populaire et facétieuse. Gabrielle Roy (1909-1983), née au Manitoba, est saluée à Paris par le prix Femina pour Bonheur d'occasion (1945), peinture des contrecoups de la guerre sur les quartiers ouvriers de Montréal.

Les romanciers des années 1950, comme Robert Charbonneau (1911-1967), Robert Élie (1915-1973), Jean Filiatrault (1919-1982), André Giroux (1916-1977) ou André Langevin (1927-2009) prolongent les formes traditionnelles ; préoccupés de psychologie et de morale, influencés par l'existentialisme, ils laissent sourdre une inquiétude diffuse. Yves Thériault (1915-1983) développe une ethnographie romanesque des minorités du Québec – juifs, Inuits ou Amérindiens (Aaron, 1954 ; Agaguk, 1958 ; Ashini, 1960).

Le nouveau roman commence avec Hubert Aquin (1929-1977), dont Prochain Épisode (1965), roman d’espionnage démonté en même temps que réflexion critique sur la révolution et l’amour, semble étrangement annoncer la crise sanglante de 1970 et la mort volontaire du romancier : « Je suis le symbole fracturé de la révolution du Québec, mais aussi son reflet désordonné et son incarnation suicidaire », écrit le narrateur. Gérard Bessette (1920-2005), très attentif à l’évolution des techniques narratives, est passé d’un naturalisme sarcastique à l’analyse en profondeur des mouvements de conscience (La Bagarre, 1958 ; Le Libraire, 1960 ; Le Cycle, 1971).

Le renouvellement romanesque est surtout venu du recours à la culture et au langage populaires. Jacques Ferron (1921-1985) emprunte au conte le sens de l’ellipse, l’humour, le mélange du fantastique et du tragique (Contes du pays incertain, 1962), pour les transporter dans ses romans (L’Amélanchier, 1970 ; Les Confitures de coings, 1972). La revue Parti pris propose l’usage littéraire du joual comme révélateur de l’aliénation québécoise.

Le « réalisme linguistique » fonctionne comme une sorte d’exorcisme dans les romans d’André Major et les nouvelles de Jacques Renaud (dont Le Cassé, en 1964, est particulièrement explosif). C’est la même attention au rythme et aux ellipses du joual qui permet à Michel Tremblay de glisser insensiblement du théâtre au roman : La grosse femme d’à côté est enceinte (1978) inaugure un cycle romanesque en six volumes, les Chroniques du Plateau-Mont-Royal, dont certains personnages avaient figuré dans des pièces antérieures.

Le travail sur la langue caractérise une part dominante de la production romanesque. Né en 1933, Jacques Godbout, qui est aussi poète, dramaturge, essayiste et cinéaste, donne à la littérature du joual un aboutissement truculent avec Salut Galarneau ! (1967) et D’Amour, P. Q. (1972), avant de poser la question fédérale canadienne sous forme d’un mythe cocasse (Les Têtes à Papineau, 1981) et de s’interroger sur la fascination de l’intellectuel québécois pour le mode de vie californien (Une histoire américaine, 1986). Le Temps des Galarneau (1994) revient avec une discrète ironie sur le roman qui a assuré la renommée de l’écrivain. L’écriture de Jacques Godbout, mêlant les allusions à la bande dessinée et à la chanson, dissimule sous[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-XIII
  • : maître de conférences, habilité à diriger des recherches, formateur agrégé de lettres à l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation, Sorbonne université
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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