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QUÉBEC Littérature

Le roman : des écritures migrantes à la question des territoires

La bipartition traditionnelle entre ces deux catégories d’écrivains, les romanciers « légitimes » et les « migrants », doit d’ailleurs être immédiatement nuancée. En effet, des auteurs tels Hubert Aquin (Trou de mémoire, 1968) ou Anne Hébert, qui publie Le Premier Jardin en 1988, font déjà entendre, chacun à leur façon, et bien avant l’heure, une voix « migrante ». Marie-Claire Blais, elle non plus, n’est pas en reste lorsqu’elle fait des déplacés, des réfugiés et des marginaux les héros tragiques de son épopée polyphonique des temps modernes à partir de Soifs (1995) et au moins jusqu’Aux jardins des Acacias (2014).

Victor-Lévy Beaulieu - crédits : L. Frémaux/ Les Editions Trois Pistoles

Victor-Lévy Beaulieu

Plus que jamais, le roman québécois se dégage des voies narratives traditionnelles en cherchant à s’approprier les écritures contemporaines les plus novatrices. Les Fous de Bassan d’Anne Hébert, prix Femina en 1982, privilégie les ruptures énonciatives dans le sillage de William Faulkner et de son Absalon, absalon ! (1936). Autre monstre sacré de la littérature québécoise, Victor-Lévy Beaulieu n’a pas cessé de militer en faveur de la cause indépendantiste. On peut dire que c’est sa personnalité tout entière qui est tournée vers l’exigence de l’indépendance. Fasciné par les géants de la littérature – Hugo, Melville ou Cervantès –, il a construit une œuvre considérable, de près de soixante-dix ouvrages, comprenant romans (L’Héritage, 1987 ; Bibi, 2010), essais (James Joyce, l’Irlande, le Québec, les mots, 2006) et théâtre (Les Menteries d'un conteux de basse-cour, 2011).

D’une manière plus globale, les écrivains québécois aspirent à désenclaver leurs sources littéraires d’inspiration en se tournant du côté des littératures anglophones aussi bien que francophones. Dans Volkswagen Blues (1984), Jacques Poulin dessine l’itinéraire de Jack Waterman à la recherche de son frère Théo comme un hommage tout à la fois aux Indiens d’Amérique massacrés et au roman de Jack Kerouac, On the Road (1957). Moins autocentré sur un espace géographique de référence, le roman québécois s’autorise à dériver loin de son Ithaque montréalaise.

Michel Tremblay, dans le quatrième tome de ses Chroniques du Plateau-Mont-Royal, Des nouvelles d’Édouard (1984), envoie à Paris son personnage éponyme, homosexuel travesti la nuit sous le pseudonyme de Duchesse de Langeais, en quête de mythes littéraires, et en proie aux aléas du quotidien.

Aidé par une logique éditoriale plus ouverte que dans l’Hexagone, le roman québécois trouve par ailleurs un vecteur de renouvellement dans les écritures migrantes. Monique Proulx leur rend un hommage rétrospectif indirect dans son recueil de nouvelles, Les Aurores montréales (1996), tandis que Régine Robin (1939-2021), écrivaine franco-québécoise, marque une date dans la quête des origines avec son roman migrant pionnier, La Québécoite (1983), et son invention d’une écriture qui « déraille, déroute et détonne ».

C’est que la société québécoise, moins ultramontaine et conservatrice qu’à l’époque de l’Index (encore à l’œuvre au cours des années 1960), a opéré progressivement son métissage. Elle s’enrichit des apports socioculturels étrangers, qu’ils viennent d’Europe, comme Fulvio Caccia ou Marco Micone, du Levant, telle Abla Farhoud (1945-2021), d’Haïti, comme Dany Laferrière et Émile Ollivier (1940-2002), ou encore du Moyen-Orient, tel Naïm Kattan (1928-2021), juif irakien, auteur de La Fortune du passager (1989).

Le succès du premier roman de Dany Laferrière, Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer (1985), coïncide avec l’éclosion de nouveaux talents littéraires d’origine étrangère qui entrecroisent les imaginaires du pays d’origine et du pays d’accueil, dans des écritures décomplexées où l’oralité multiplie les entorses[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-XIII
  • : maître de conférences, habilité à diriger des recherches, formateur agrégé de lettres à l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation, Sorbonne université
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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Anne Hébert - crédits : Micheline Pelletier/ Gamma-Rapho/ Getty Images

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