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QUÉBEC Littérature

Le théâtre, en quête de nouvelles origines

Temple iconoclaste des langages et des voix oubliés ou mis au ban de la société conventionnelle, le théâtre des années 1970 fait de la dérision une arme de contestation contre les aspects réactionnaires de la société québécoise. Exploités à l’envi, les jeux de langage y ont force de loi : Jean-Claude Germain intitule sa pièce Un pays dont la devise est je m’oublie (1976), contrefaisant la devise de la province francophone « Je me souviens. » Cependant, en cette époque marquée par une moindre inspiration nationaliste, et tandis que le théâtre se structure en différents groupes, la dramaturgie se renouvelle aussi et surtout grâce aux inspirations du théâtre féministe qui prend la suite des Belles-Sœurs de Michel Tremblay (1965).

Marie-Claire Blais - crédits : Hannah Assouline/ Opale/ Leemage/ Bridgeman

Marie-Claire Blais

Denise Boucher, par exemple, connaît la notoriété avec une pièce controversée, Les fées ont soif (1978). Mettant en corrélation l’épouse, Marie, et la putain, Madeleine, la pièce bénéficiera d’un nouveau succès de scandale en 1984, lorsqu’elle sera à nouveau représentée lors de la visite du Pape Jean-Paul II au Canada. Tout aussi transgressif et férocement iconoclaste, le théâtre de Jovette Marchessault (1938-2012), que les spectateurs découvrent avec La Saga des poules mouillées (1981), n’est pas tendre avec les prophétesses littéraires du Canada français : les écrivaines Laure Conan (1845-1924), Germaine Guèvremont (1893-1968), Gabrielle Roy (1909-1983) et Anne Hébert (1916-2000).

Longtemps reléguées au rang de mères courage de la province francophone, les femmes de théâtre, à l’instar d’Elizabeth Bourget, auteure de Bonne fête maman (1982), font du quotidien médiocre régi par le sexisme la matière première de leur dramaturgie. Cependant, avec Marie Laberge et son retentissant Avec l’hiver qui s’en vient (1981), la dynamique tragique reprend le dessus sur le prosaïsme du langage des jours ordinaires.

On l’aura compris, le théâtre québécois gagne en densité au cours des années 1980. Les dramaturges parviennent en effet à explorer, outre le conflit entre les sexes, à l'intérieur du couple et de la société, bien d’autres crises existentielles, comme celles qui surgissent entre le peuple de souche, présupposé accueillant, et les nouveaux arrivants. C’est, entre autres sujets de prédilection, ce que met en perspective le théâtre de Marco Micone, d’origine italienne, dans sa trilogie constituée par Gens du silence (1982), Addolorata (1984) et Déjà l’agonie (1988).

Cette dramaturgie de la parole forte et qui porte avec soi les stigmates des conflits existentiels, Roch Carrier, dans Le Cirque noir (1982), parvient à lui donner à la fois consistance et dépouillement en proposant au spectateur le monologue d’une jeune femme vivant ses ultimes heures après un tragique accident. À ce jeu discursif là, néanmoins, Michel Tremblay continue de montrer sa maestria, comme en témoignent ses retrouvailles avec le personnage emblématique d’Albertine dans Albertine, en cinq temps (1984).

Les pièces québécoises ne cessent en conséquence de prendre de l’ampleur, osant de multiples expérimentations artistiques. Ainsi Jean-Pierre Ronfard, fondateur du Théâtre expérimental, propose-t-il en 1981 Vie et mort du roi boiteux, une épopée à la fois sanglante et grotesque mettant en scène plus de deux cents personnages sur une durée de près de quinze heures.

Adeptes du théâtre dans le théâtre, des dramaturges comme Jean-François Caron, avec notamment J’écrirai bientôt une pièce sur les nègres (1990), tendent à rendre plus incertaines les frontières entres les genres et entre les arts. La linéarité du récit dramatique doit être remise en question, car elle apparaît impropre à déstabiliser le spectateur, trop confortablement assis dans son fauteuil. Promu cocréateur d’un spectacle théâtral total et fragmentaire où la mise en scène[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-XIII
  • : maître de conférences, habilité à diriger des recherches, formateur agrégé de lettres à l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation, Sorbonne université
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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Anne Hébert - crédits : Micheline Pelletier/ Gamma-Rapho/ Getty Images

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