QUEL AVENIR POUR LA CAVALERIE ? (J. Reda) Fiche de lecture
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Poète, auteur de récits en prose et d’essais, directeur de La Nouvelle Revue française de 1987 à 1996, éditeur et chroniqueur de jazz, Jacques Réda (1929-2024) occupe une place à part dans la poésie contemporaine.
Né à Lunéville, ville de garnison où il a passé son enfance, Jacques Réda en a gardé l’image des régiments de cavalerie alignés. D’où ce titre insolite : Quel avenir pour la cavalerie ? (Buchet-Chastel, 2019). Derrière l’ambiguïté malicieuse de la métaphore militaire, ce volume propose, comme l’indique son sous-titre, « une histoire naturelle du vers français », racontée par un soldat de son corps d’élite. Cette leçon de « mécanique du vers » français et donc syllabique peut être lue tout à la fois comme un essai descriptif aux résonances multiples, un précis de prosodie non rebutant, un conte sur les aventures et mésaventures des principaux vers français, une épopée tragique de ses versificateurs réguliers et de sa débandade à partir de la fin du xixe siècle. On peut y entendre aussi une légende chronologique de la grandeur de la poésie française en vers, et même, entre les piques lancées contre le « morse » informatique et l’« espéranto mondialisé », une défense et illustration du vers français. C’est enfin une lettre à un jeune poète, pleine de savoir et de saveur, de musique et d’instruction militante, sur les grands mètres et maîtres du chant d’honneur.
La mécanique poétique
Quatre épigraphes donnent les points cardinaux qui orientent cette enquête en terre de prosodie : le vers français, chant d’honneur de notre humanité profonde, fait « sonner » la musique dans le « saint Langage » (Paul Valéry) ; il jaillit du cri primitif (Raymond Queneau) ; il bat, se règle et se dérègle suivant le rythme du souffle humain toujours incertain (Philippe Jaccottet) ; il se brise et se désintègre quand le poète et sa muse chimérique le déjouent (Henri Droguet). Une harangue amusante et désenchantée résume en introduction la situation critique du vers et donc du rythme, moteur de la mécanique poétique. Puis l’analyse chronologique proprement dite, intitulée « Le vers français », commence naturellement comme une ballade dans les paradis perdus du vers. L’ouïe fine et minutieuse du rythmicien qu’est Jacques Réda sonde les grandes œuvres emblématiques, tout en en dénichant de méconnues. Une note en fin de volume rappelle qu’il a préféré à la conventionnelle bibliographie finale l’inclusion dans le corps du texte des références citées, de sorte que cette histoire du vers soit lue dans sa continuité et non picorée à la manière d’un dictionnaire amoureux. D’autre part, de longues notes en bas de page offrent d’heureuses cavalcades digressives à l’assaut du vers, rompant le manège habituel du trot chronologique.
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Écrit par
- Yves LECLAIR : professeur agrégé, docteur en littérature française, écrivain
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