QUELQU'UN VA VENIR (J. Fosse)
La compagnie de Claude Régy, Les Ateliers contemporains, a pour vocation de créer en France les œuvres de jeunes auteurs dramatiques. On sait que Régy a toujours privilégié une telle recherche, lui qui aida à découvrir en France Harold Pinter, John Osborne, Peter Handke, Botho Strauss ou, plus récemment, Gregory Motton. Il poursuivait durant la saison 1999-2000 ce travail de création originale au Théâtre de Nanterre-Amandiers, avec le Norvégien Jon Fosse (Quelqu'un va venir) et l'Écossais David Harrower (Des couteaux dans les poules).
À cette date, Jon Fosse avait déjà publié en Norvège près de dix pièces, une dizaine de romans, des poèmes, ainsi que des essais critiques. En France, n'avaient été traduits, outre Quelqu'un va venir, que le roman Melancholia I, variation obsessionnelle sur l'écriture à travers l'évocation du peintre Lars Hertervig, et les pièces Le Nom, L'Enfant et Le Fils.
L'écriture de Jon Fosse dans Quelqu'un va venir et Melancholia I, est marquée par d'inlassables répétitions traversées d'infimes variations. Par l'effet de ce langage au vocabulaire restreint, qui paraît toujours égal à lui-même, sans l'être intégralement, par le jeu de ces formules réitérées où s'insinuent d'imperceptibles modifications, les mots en viennent à dépasser la simple fonction référentielle et le sens commun, à désigner le contraire de ce qu'ils disent, et aussi, pour reprendre une idée que Claude Régy emprunte à Henri Meschonnic, une autre chose « que l'on ne sait peut-être pas qu'on entend ».
Dans Quelqu'un va venir, un homme et une femme sont parvenus auprès de la maison qu'ils viennent d'acheter, face à la mer, au bord du monde. Bientôt naît en eux le sentiment – la crainte, à moins que ce ne soit un espoir – que quelqu'un va venir, qui les empêchera d'être « seuls ensemble ». Et l'événement annoncé se produit : un jeune homme leur rend visite, qui affirme être celui qui leur a vendu la maison.
Dans l'optique de Régy, la fable elle-même importe peu. Ici, ce qui se joue entre les êtres ne doit être que le reflet sensible de ce qui se déroule au sein de la conscience. Le visible se veut une traduction esthétique de l'invisible, de même que la langue de Fosse, à travers ce qu'elle dit, voudrait donner accès à l'ineffable. Il semble alors que ce soit une voix unique qui parle, celle de l'écriture, et qu'elle se répartisse en trois entités comme en autant de tentations ou de figures à la fois antagonistes et complémentaires. Dès lors, il convient de se détacher de cette histoire de couple en butte au jugement des autres et aspirant à bâtir un amour pur hors de toute société, de ces scènes de jalousie que suscite l'arrivée d'un tiers, de cette structure qui serait presque vaudevillesque si on la réduisait à des personnages et à une situation. Car, à l'image de ce que l'on observe chez Strindberg, la dramatisation est ici essentiellement intérieure, et les figures bien connues que l'on se prend à identifier, scène de ménage ou fusion romantique avec la nature, ne sont que les manifestations extérieures des secousses profondes agitant un « théâtre intime ».
Outre le drame strindbergien, l'écriture de Fosse paraît davantage encore travaillée par la tradition et le folklore nordiques, où l'on distingue mal le naturel du surnaturel puisque le spectacle de la nature est si saisissant qu'il produit son propre effet de fantastique. Ainsi l'étranger, l'homme qui rôde autour de la maison, rappelle la créature du daugr, le « mort mal mort » des légendes scandinaves, revenu tourmenter les vivants. Et le style de Fosse lui-même n'est pas sans évoquer les formules imperceptiblement modulées du conte enfantin.
Le dispositif[...]
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Écrit par
- David LESCOT : écrivain, metteur en scène, maître de conférences à l'université de Paris-X-Nanterre
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