Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

QUELS SONT CES CHEVAUX QUI JETTENT LEUR OMBRE SUR LA MER ? (A. Lobo Antunes) Fiche de lecture

Né en 1942 à Lisbonne dans une famille de la grande bourgeoisie, António Lobo Antunes est un romancier portugais dont l’œuvre commence à la fin des années 1970, après la « révolution des œillets ». Sa précoce vocation littéraire fut d'abord contrariée par des études de médecine et par l'expérience de la guerre coloniale en Angola où il fut médecin militaire. Son œuvre baroque et foisonnante, composée de grands cycles romanesques, traite de l'histoire récente du Portugal et se nourrit des enfers de la guerre et de son expérience de psychiatre. Plus largement, elle aborde la question du pouvoir et de la monstruosité humaine ordinaire.

De misérables enfers

Publié en 2009 au Portugal, Quels sont ces chevaux qui jettent leur ombre sur la mer ? (trad. franç. 2014) est précisément un roman du mal familial. Son écriture très novatrice noue les uns aux autres les multiples délires de ses personnages narrateurs, à partir des mots que la mémoire de l'écrivain psychiatre a enregistrés.

Ce roman tragique suit le rythme d'une corrida dont la fatalité dévide le fil, en sept étapes aussi splendides que calamiteuses : Avant la corrida, Tercio de capote, Tercio de piques, Tercio de banderilles, La faena, La suerte suprême, Après la corrida. Sauf qu'il s'agit là, par l'un de ces innombrables décalages dont Lobo Antunes a le secret, d'une corrida humaine. À l'animal mis à mort se substitue une vieille femme, veillée par ses deux fils, Francisco et João, ses deux filles Ana et Beatriz, ainsi que la servante Mercília. Dans une confusion verbale superbement contrôlée, le romancier plonge au plus profond des enfers familiaux pour évoquer, à partir de l’infime et de l'anodin, la décadence des Marques, une grande famille propriétaire d'une quinta, dont l'élevage de taureaux fit la fierté et le faste.

Ce roman qui procède d'une dramaturgie tauromachique enclavée entre le prologue et l'épilogue des premier et dernier chapitres se déroule, comme une tragédie classique, en cinq actes. Chacun d'eux est divisé en quatre parties dans lesquelles le cercle familial que ferme à double tour le silence complice de la servante laisse soliloquer en une catharsis maléfique les flux de conscience et les mémoires malades. Le titre énigmatique du roman renvoie aux champs de conscience qu'explore et mêle, dans une sublime satire de l'inconscient personnel, cet hymne au désastre familial. La phrase sort, comme un serpent, de la bouche d'ombre de Beatriz, l'une des deux filles, qui, à l'instar des autres personnages du livre, s'abandonne à sa folie ordinaire et s'interroge sur l'une de ses obsessions, – celle précisément des chevaux qui traversent la plage et jettent leur ombre sur la mer –, à laquelle répondront les derniers mots du récit, d'une absolue désespérance.

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur agrégé, docteur en littérature française, écrivain

Classification